Histoire du livre imprimé en Europe du XVème au XVIIIème siècle

28/01/2014 19:23

Histoire du livre imprimé

en Europe du XIVème au XVIIIème siècle

 

Introduction

 

I) L'arrivée du livre imprimé en Europe: changer de technique de production et de diffusion face aux nouveaux rapports lectorat/livre

 

II) Déploiement de la nouvelle technique: la librairie d'Ancien Régime (les années 1520-1760)

 

III) La deuxième révolution du livre en marche (fin du XVIIIème siècle)

 

Conclusion

Sources

Introduction

 

On parle généralement de livre pour une publication non périodique, manuscrite, imprimée ou numérique, prolongeant les capacités de communication des auteurs au-delà de l'espace et du temps en transmettant un message, un propos, sensé ou non, sous la forme de pages de textes reliées sous un titre commun et selon une organisation linéaire (pagination, chapitres,...) et avec des outils d'accès synchroniques (index, sommaire). En Europe, les temps modernes ont été une période de mutations particulièrement marquante puisque c'est à cette période que l'imprimerie arrive sur le continent. Par imprimerie, il faut entendre l'ensemble des techniques permettant la reproduction d'écrits et d'illustrations sur support matériel en grande quantité, permettant ainsi une distribution de masse. Généralement, on utilise des supports plans et la matière la plus utilisée est le papier. Toutefois, une idée reçue sur l'Histoire du livre imprimée colportée par l'historiographie française et occidentale, dont Frédéric Barbier, présente l'Europe comme le lieu de naissance de cet objet alors que la technique existait bien avant en extrême-Orient. Il conviendra donc dans cet article de revoir l'Histoire du livre imprimé en Europe à partir d'une Histoire véritablement globale et de se séparer des postulats de l'ethnocentrisme.

 

 

I) L'arrivée du livre imprimé en Europe: changer de technique de production et de diffusion face aux nouveaux rapports lectorat/livre

 

L'historiographie française voit encore de nos jours en Gutenberg un inventeur de l'imprimerie. Pour autant, on sait que la tradition du livre imprimé était bien plus ancienne en Extrême-Orient et que le système d'écriture, l'environnement politico-culturel et l'éventail des techniques disponibles expliquent que la direction prise y ait été radicalement différente. Entre le VIIème et le XIème siècle, la xylographie (procédé de reproduction d'image ou de texte sur un support papier ou tissu par la gravure sur bois servant à la fabrication d'empreinte pour l'impression) sert déjà en Chine pour des textes de toutes sortes (calendriers, traités divers, textes littéraires ou religieux). Il n'y avait pas de division du texte et les types étaient en argile puis en bois à partir du Xème siècle. La Corée connait la technique depuis au moins le VIIIème siècle et le métal y a remplacé le bois dès le XIVème siècle avant de servir à la fabrication des types au siècle suivant. Le Japon, enfin, développe la xylographie au VIIIème siècle, d'abord pour de brefs commentaires de textes bouddhiques. Selon Bertrand Gile, l'accueil sur le marché n'était pas suffisant pour que la technique y perdurent. Ce n'est qu'à partir de l'époque moderne que la technique occidentale est introduite par des missionnaires occidentaux (apportant des caractères mobiles en latin ou en japonais translittérés ou non) au Japon qui avait déjà importé la technique coréenne en 1592. En Chine, l'imprimerie occidentale ne se développe vraiment qu'après les guerres de l'opium (1860) lors des missions protestantes anglo-saxonnes. Entre 1274 et 1291, le voyageur italien Marco Polo séjourne pendant 17 ans à la cour de Kubilai Khan et y apprend la culture et les techniques chinoises et mongoles notamment en matière d'imprimerie. De même, en 1294, Mahmud Ghazan Khan, gouverneur mongol en Perse, fait imprimer en xylographie à Tabriz ce qui seraient des billets où figurent en haut le caractère chinois du billet. En 1880, des fouilles archéologiques au Médinet el-Fayoum, en Egypte, ont révélé des impressions datant d'environ 1350 montrant ainsi l'exportation de l'imprimé vers les pays arabes. Dans l'Empire ottoman, les sources révèlent en outre que le sultan Bajazed II interdit l'usage de la presse à imprimer en 1485 et le sultan Selim Ier décide par décret de punir de mort toute personne usant d'une presse. L'imprimerie n'est réintroduite qu'en 1727 par Ibrahim Müteferrika pour deux décennies avant d'être de nouveau interdite jusqu'au début du XIXème siècle. C'est grâce au séjour de Marco Polo en Chine que la xylographie et le caractère mobile, soit la technique première d'imprimerie, arrivent en Europe. Ainsi, le Néerlandais Laurent Coster imprime en 1430 deux éditions du Donat et le Speculum Humanae Salvationis. On raconte qu'à sa mort en 1440, son ouvrier Jean, que l'on pense être le frère ainé de Gutenberg, aurait volé tous les objets de cette imprimerie pour les transporter à Mayence, sa patrie. Johannes Gensfleisch, ou Gutenberg, par la connaissance de cette technique encore peu utilisée, a alors l'idée d'utiliser un procédé analogue pour le livre: l'usage de caractères mobiles en plomb fabriquée à l'aide d'une machine à fondre et celui d'une presse à imprimer. La véritable innovation de Gutenberg n'était donc pas la technique en elle-même déjà en usage en Asie quelques siècles auparavant. A l'aide des finances de Johann Fust, il développe l'imprimerie à l'atelier de Mayence et entame la production, d'abord de petits textes (Ars Minor de Donat, un manuel de latin pour compléter les fonds, et des formulaires d'indulgences) puis une Bible à 36 lignes et une à 42 lignes. Après la mort de Gutenberg, Fust et Schöffer reprennent l'atelier à leurs noms. Dès lors sont publiés en 1457 le psautier de Mayence, qui est le premier livre imprimé portant une date en Occident, suivi d'une Bible à 48 lignes et du De Officiis de Cicéron. Concrètement, la fabrication du livre par cette technique se déroulait selon deux étapes: la composition et la pré-presse ou impression à proprement parler. Elle nécessitait dès lors une division du travaille ordonnée et réfléchie: impression feuille par feuille, correction après chaque étape, auteur et correcteur présent lors de l'impression,... Les interruptions et les conflits expliquent le passage de la production continue à la production simultanée (production de plusieurs livres en même temps et spécialisation des ouvriers à une tâche particulière). L'atelier nucléaire (une seule presse) devait se composer d'au moins un compositeur et deux pressiers. Ces ateliers ne sont entrés dans le système des corporations qu'à partir du XVème siècle du fait des conditions de travail difficiles qui ont motivé les grèves des compagnons imprimeurs à Lyon et à Paris en 1539-1542 et en 1571-1572. La technique est toutefois restée quasiment inchangée pour son fonctionnement tout au long de l'époque moderne si ce n'est une modification portée sur la fixation de l'arbre de la vis à la platine apportée par la presse hollandaise dite de Blaeu à la moitié du XVIIème siècle et par la presse de Haas dite de Bâle dont le chariot accueillait des formes plus grandes et coulissait sur des rails.

Cette nouvelle technique répond précisément en Europe à l'évolution des rapports au livre qui a eu lieu au bas Moyen-Age marquée par la Renaissance scribale au XIIIème siècle. Au cours du bas Moyen-Age, la modernité et la multiplication des livres et des écrits de toutes sortes s'étaient traduits par une élargissement de l'éventail des rapports à l'écrit selon trois grandes tendances: la spécialisation des ouvrages, la banalisation du rapport à l'écrit et l'association du livre à un objet signe de distinction sociale voire de puissance, la culture s'imposant comme un élément central du pouvoir politique. L'imprimerie européenne nait dans la vallée du Rhin moyen, entre Mayence et Strasbourg et s'étend ensuite selon une triple logique: la proximité (le premier espace de diffusion est la région rhénane et l'Allemagne moyenne et méridionale), l'importance (les plus grandes villes sont privilégiées dont celles aux fonction de direction, notamment dans le domaine religieux) et la présence d'une institution, d'un personnage ou d'un groupe faisant venir les imprimeurs (le plus souvent une maison ou une institution religieuse). Les premiers imprimeurs sont des Allemands émigrés et dont la migration a été accélérée par la prise et le pillage de Mayence par Adolphe de Nassau en 1462 qui a amené nombre de compagnons et ex-compagnons de Gutenberg à cherché fortune ailleurs. La première vague d'exportation de la technique a alors concerné l'Europe occidentale en passant par l'Italie, la France, le Royaume-Uni et l'Espagne et a lieu au XVème siècle. La seconde vague est, quant à elle, tournée vers l'Europe orientale et l'Europe Sud-orientale et se déroule au XVIème siècle.

Les années 1500 ont marqué une rupture dans les formes, les contenus et les pratiques des livres imprimés. La diffusion du livre avait déjà pris une certaine importance au bas Moyen Age et la typographie en caractère mobile et la publication des incunables (livres publiés entre 1450 et 1500) n'ont d'abord entrainé aucune modification radicale des dispositifs formels de présentation du livre. Le but était en effet de prouver aux clients potentiels que la nouvelle technique donnait un produit semblable, de qualité au moins égale, et dans des conditions financières plus avantageuses. La véritable rupture historique a lieu en 1475 lorsque le manuscrit est délaissé au profit de l'imprimé. Le livre imprimé se dégage alors peu à peu de la forme matérielle traditionnelle, tandis que l'élargissement du public s'accompagne d'une diversité de plus en plus grande des types de livres, d'une assignation des textes et d'une autre échelle des lectures désormais disponibles. Le contenu ne change guère au début de l'époque moderne. Au premier rang, il concerne la Bible, des éditions des pères de l'Église, et des commentaires des écritures saintes. Au deuxième rang, on trouve des traités de droit canon, des traités juridiques et leurs commentaires, des manuels d'enseignement et des éditions classiques (des œuvres de Cicéron notamment). Viennent ensuite des publications en langues vernaculaires (d'abord en allemand puis dans les autres langues) comme La Légende Dorée de Jean de Voragine, le premier livre imprimé en français.

A partir du XVème siècle, les imprimeurs adoptent la forme renaissance pour les livres produits. Cette forme a été inventé en Italie par les humanistes au cours du cinquecento avant de se répandre en Europe et est née de la synthèse des formes modernes et antiques. Elle se caractérise d'abord par l'écriture antiqua inspirée des manuscrits carolingiens et des inscriptions lapidaires antiques, puis par l'italique adoptée par Aldo Manucio à Venise. A cela s'ajoute un accroissement des illustrations dont les traditions tendent à s'affirmer comme nationales en Italie, à côté des écoles d'Allemagne du Sud, de Bâle, de Nuremberg, ou d'Augsbourg. En France, l'exemple type du livre moderne est le livre d'Heures imprimé. En 1502 a lieu une rupture de style avec le livre manuscrit: le livre imprimé est enrichi de gravures inspirées de l'Antiquité, inspiration qui touche aussi les décors et l'encadrement à partir de 1507. De là, on comprend que la nouvelle technique a bouleversé tant la forme et le contenu que la manière de s'approprier le livre comme le montre la baisse du prix et la relative banalisation de l'imprimé ainsi que l'accélération du développement de la lecture silencieuse apparue au XIème siècle.

On le devine déjà, c'est en grande partie grâce à l'intérêt porté par les politiques et humanistes aux traditions de la Grèce antique que l'imprimerie s'est développé en Europe. En Italie, les interrogations sur les traditions grecs ont commencé à se répandre dans la deuxième moitié du XIVème siècle lorsque, pendant la Renaissance italienne, on recherche les textes originaux de l'Antiquité et on réapprend le grec et l'hébreu. Le pôle principal de la communauté grecque d'Occident, avant Venise, est Florence où le pouvoir politique est aux mains des riches négociants, lesquels cherchent dans la tradition des lettres antiques un moyen de conforter leur domination. S'y est alors formé un milieu d'intellectuels engagés dans la vie publique et pour lesquels la référence à la culture grecque était investie d'une dimension politique. Rien d'étonnant donc à ce que le basculement de la république vers le principat s'appuie sur le mécénat princier et l'enrichissement des bibliothèques. Au XVème siècle, la recherche sur l'hellénisme s'étend: des ateliers de copistes grecs sont installés en Italie du Nord et à Venise et le duc de Milan Ludovic le More veut faire de sa capitale une "nouvelle Athènes". A Venise, l'imprimeur Aldo Manucio s'installe en 1490 et travaille avec son réseau d'humanistes sur l'impression de textes grecs (œuvres littéraires, traités scientifiques), de manuels (grammaire, lexique, dictionnaire, psautier) et des œuvres d'Aristote. Bien que Venise soit réputée pour son travail sur l'hellénisme, le centre des travaux en la matière se déplace de Florence à Rome dans les années 1500. La diffusion de l'hellénisme répondait après 1453 à l'espoir des Byzantins exilés de réunir les forces d'une croisades. Il est introduit à Paris, par Guillaume Fichet et Bessarion quand ils encourageaient le roi à intervenir contre les Ottomans. Leur échec a motivé le départ de Fichet pour Rome et de Bessarion pour Venise. Ce départ ne marque pas pour autant la fin de l'hellénisme en France puisqu'à partir de 1476, Georges Hermonyme, copiste de Mistra (Sparte) inaugure un enseignement de grec à Paris. La conjoncture politico-culturelle devient même plus favorable à l'hellénisme et à l'humanisme avec les règnes de Charles VIII et Louis XII et les expéditions successives des Français en Italie. Certains ateliers d'imprimeurs et boutiques de libraires s'imposent même au coeur du mouvement humaniste en devenant des lieux de production et de diffusion des textes ainsi que des espaces de sociabilité en se basant sur le modèle de Aldo Manucio et son Académie visitée par Erasme lors de son séjour à Venise en 1507, et ce jusqu'à égaler Bâle et la dynastie des Amerbach dans la première moitié du XVIème siècle. A cela s'ajoutent des travaux sur la culture latine comme le montre les impressions des imprimeurs Estienne qui comprenaient des éditions de la Bible, des évangiles en latin avec des notes des différentes versions du texte, et la Vulgate avec un index des noms propres en hébreu, en chaldéen, en grec et en latin.

La conjoncture de l'humanisme parisien devient favorable lorsque François de Valois monte sur le trône en 1515. Celui-ci avait reçu de sa mère Louise de Savoie une éducation humaniste et cherche à asseoir le changement de dynastie sur le modèle italien et la dimension culturelle de la fonction politique. Ainsi, Denis l'Aéropagyte, athénien compagnon de Paul, est présenté comme le premier évêque parisien et assure le lien entre Athènes, la Grèce et la France sans l'intermédiaire italien. L'humanisme parisien devient alors national et l'hellénisme est placé au cœur du dispositif et retient toute l'attention du roi. De là découle un accroissement considérable des collections de manuscrits grecs: 37 étaient conservés à Blois en 1518 contre 500 à Fontainebleau au milieu du XVIème siècle. En outre, François Ier fait acheter et copier plusieurs volumes venant d'Italie. Les humanistes parisiens attendent dès lors beaucoup du roi. Ainsi en 1529, Budé publie chez Bade des Comentarii Linguae graecae et appelle dans sa préface à la fondation d'une école appliquant le programme humaniste en faisant référence à Alexandrie. Il s'agit du Collège des 3 langues, fondée plus tard, futur collège de France, dont les premiers lecteurs royaux sont nommés en 1530 sous l'autorité de Jacques Colin, aumônier du roi, succédé par Pierre de Châtel. Les chaires primitives étaient celles de grec et d'hébreu et ont été ensuite complétées par celles de latin, de philosophie, de mathématique et de médecine.

La multiplication des livres s'accélère dans les années 1510 et s'accompagne nécessairement de nouvelles pratiques liées à l'imprimé. Outre la banalisation relative du livre, ces nouvelles pratiques touche particulièrement les catégories du travail intellectuel. Le travail se fait désormais couramment en consultant et il devient possible de se constituer des bibliothèques relativement importantes, caractéristiques de l'émergence du monde savant. Parallèlement, c'est l'organisation des premiers grandes bibliothèques, dont certaines, comme à Rome, plus ou moins ouvertes aux chercheurs et où l'aménagement intérieur témoigne de l'évolution des conditions de travail. Les livres sont désormais classés systématiquement dans les sections et sous-sections d'un système organisés des connaissances. Enfin, le renouvellement des formes et des pratiques du travail intellectuel implique aussi l'apparition et le développement d'instruments de travail modernes: les usuels. Trois générations après l'arrivée de l'imprimerie en Europe, la multiplication des livres, le modernisme de leur présentation, les nouvelles pratiques de lecture et de travail intellectuel concourent à imposer le modèle de "l'Homme typographique"(McLuhan). Ceci est visible par la systématisation de la mention bibliographique dans les livres savants en réponse à l'inflation documentaire de l'époque et l'émergence de l'édition scientifique. S'en suit dès lors un nouveau monde. La recherche humaniste a donné un statut privilégié à la référence écrite et fonctionne comme un encyclopédisme avant la lettre: il s'agit de lire les auteurs classiques ou étudier l'Histoire (naturelle, humaine,...) non lus seulement dans une perspective chrétienne mais pour la connaissance qu'on en tire tout en gardant "l'Homme" au centre du monde sensible pour en faire un nouvel inventaire et une nouvelle interprétation.

 

Cette modernité qui caractérise l'Histoire du livre et les débuts du livres imprimé en Europe peut se mesurer par la question des modèles, des procédures et des pratiques de contrôles mis en place par les organisations sociales sur leurs systèmes de communication et d'information, et d'abord sur la production imprimée. Dans la pratique, le contrôle, institué surtout à partir du XVIème siècle, dépend directement de l'articulation du religieux et du politique, et ses catégories comme ses modalités évoluent avec la sécularisation progressive de l'État. On distingue la censure dogmatique (contre l'hérésie par exemple), la censure disciplinaire(qui porte sur les pratiques) et la censure économique (pour éviter les désordres et scandales de toutes sortes). Tout d'abord appliqué à la mise en circulation des livres, le contrôle concerne peu à peu aussi la production avec l'émergence de l'imprimé: plusieurs centaines d'exemplaires pouvaient être simultanément en circulation sur le marché et des réseaux de diffusion s'organisent pour un public de lecteurs anonymes émergeant grâce à la nouvelle technique. De là se manifestent deux tensions contradictoires. La première approche est celle des humanistes et des imprimeurs humanistes pour lesquels la recherche ne se conçoit pas dans un encadrement réglementaire contraignant. Le second complexe de facteurs de mise en place d'un système de censure réside dans la diversité des logiques de contrôle. L'Église veut s'assurer le contrôle des textes publiés mais se heurte aux intérêts d'un pouvoir séculier en voie de modernisation: le prince est parfois tenté par l'humanisme (les Médicis, François Ier, Léon X), et l'affirmation progressive de l'absolutisme s'articule mal avec l'abandon de droits de contrôle essentiels, quand ce n'est pas l'intérêt politique ou financier bien compris qui pousse à privilégier une ligne autonome.

 

II) Déploiement de la nouvelle technique: la librairie d'Ancien Régime (les années 1520-1760)

 

A moyen terme, la typographie en caractères mobiles provoque un déplacement des modes de lecture, puis l'élargissement du public lui-même, sous l'effet conjoint de la multiplication des exemplaires et de la baisse relative des prix. L'écrit tend peu à peu à se banaliser. Du côté de la minorité des clercs et des lettrés, l'imprimerie ouvre à la diffusion de nouvelles pratiques de lecture et de travail, elle fixe les textes et permet de les comparer. Le paradigme religieux organisait le modèle culturel du Moyen Age: le nouveau média déplace les règles du jeu en introduisant d'autres rapports entre la forme du livre, son contenu et sa réception, de même qu'entre l'Église, la vie religieuse du plus grand nombre et les autorités séculières. La tension est antérieure comme le montre le cas des Cathares et des Hussites et le problème de réformer l'Église et d'inventer un nouveau système de rapport à Dieu se posait bien avant le XVIème siècle, mais l'imprimerie lui apporte une dynamique nouvelle inconnue jusque là. L'imprimerie en soi ne marque pas une rupture dans la diffusion de la Bible, déjà entamée au XIIIème siècle. Les éditions en langue vernaculaire sont bientôt données par les imprimeurs. La première en allemand est celle de Mentelin à Strasbourg en 1466 et est suivie de dix-huit autres avant la traduction nouvelle de Martin Luther à Wittenberg (1522). Dès 1476, Barthélemy Buyer fait imprimer à Lyon la première édition du Nouveau Testament en français. Dans le même temps, les humanistes travaillent sur la Bible et tendent à revenir aux sources. La diffusion du texte par l'imprimerie en latin comme en langue vernaculaire tend donc à prendre la tradition orthodoxe entre deux feux: du côté du plus grand nombre, la Bible est un livre qui devient plus courant, tandis que le texte même est discuté, voire critiqué, par les cercles savants qui travaillent sur les versions grecques et hébraïques et sur la langue latine.

Toutefois, la Réforme donne au nouveau média un rôle central. En France, la tendance d'abord à l'œuvre vise à réformer l'Église de l'intérieur et à favoriser la réception du travail des humanistes. Les perspectives modérées en ce but se heurtent cependant à la montée en puissance de l'influence luthérienne et la radicalisation qu'entraîne la fixité topographique. S'en suit la mise en place d'une police du livre complexe qui se développe même pendant le règne de François Ier et sa politique humaniste amenant à l'enrichissement de la Bibliothèque royale. La conjoncture politique change brutalement en 1534 avec l'Affaire des Placards: des affiches sont apposées sur une portes des appartements du roi à Paris remettant en cause le pouvoir royal. En réponse, la monarchie a engagé des mesures de répression contre la propagande de cette nature et a condamné des imprimeurs soit à s'immigrer (contribuant sans le vouloir à la diffusion de l'imprimerie en langue française) soit à aller sur l'échafaud. L'État a eu l'idée d'interdire l'imprimerie mais préféré chercher des moyens de contrôler la technique en confiant la surveillance aux Parlements et faculté de théologie de Paris et en réglant le métier par des édits au XVIème siècle. Les Parlements reçoivent donc un rôle en tant qu'instance de justice le plus fort et régulateur de tout le royaume. Ainsi, à Paris, la faculté de théologie établit l'index des livres interdits du royaume de France. Dans la deuxième moitié du XVIème siècle, la monarchie renforce son contrôle au détriment de l'Église et des instances judiciaires en cantonnant le rôle de la faculté de théologie au stricte domaine religieux et en bridant l'autonomie relative des Parlements par le système de privilège instauré par le roi. L'articulation entre l'évolution religieuse et le média de l'imprimé s'organise en divers ponts dont les deux principaux demeurent celui entre la première modernité et la médiatisation de masse et celui entre la religion et la politique.

Le XVIIème siècle européen présente des difficultés de périodisation: là où l'historiographie française voit le temps de construction et d'affirmation de l'absolutisme et du classicisme, l'historiographie allemande est plutôt sensible à la crise religieuse et politique à laquelle les traités de 1648 mettent un terme provisoire, tandis que l'Angleterre, après les luttes politiques et la guerre civile, s'engage sur la voie du parlementarisme et d'une croissance économique. Loin de se définir comme l'époque classique, le XVIIème siècle est souvent lié à un concept de baroque qui recouvre les catégories intellectuelles de la Contre-Réforme, les formes politiques de l'absolutisme et les choix artistiques les donnant à lire. Pour ce qui est de l'Histoire du livre, le XVIIème siècle doit être vu sur le moyenet le long terme surtout dans l'optique d'une Histoire comparatiste: la période commence donc à la seconde moitié du XVIème siècle jusqu'aux premières décennies du XVIIIème siècle. A cette époque, on constate une baisse démographique dès 1630 dans toute l'Europe. De même, le temps n'est plus à l'hégémonie de la Cour: les Grands, les villes et l'opinion publique sont devenus des acteurs majeurs du jeu politique, et l'État absolutiste doit finalement déplacer un certain nombre de ses propres catégories de fonctionnement pour rester maître du jeu. La conjoncture oppose l'essor initial aux difficultés croissantes qui s'accumulent après 1550 et voit le basculement en faveur des pays du Nord au détriment de ceux du Sud de l'Europe, et la lente diffusion de l'imprimerie et du livre dans les empires coloniaux espagnols et anglais: Anvers, puis Amsterdam, et Londres, prennent successivement le rôle de place économique centrale après le déclin de Séville et celui en cours de Venise. Il faut souligner la dépendance extrême du média par rapport aux catégories et aux évènements politiques: rien de ce qui touche à l'imprimé ne peut être étranger aux pouvoirs et conditions mêmes de son négoce le rendent extrêmement sensible aux évènements extraordinaires (guerres, troubles,...). Au cours de cette période, l'imprimé se fait aussi le relais des innovations intellectuelles (Copernic en astronomie, Descartes en philosophie et en sciences exactes et expérimentales): c'est le "miracle" des années 1620-1640.

A partir de 1680 a lieu un accroissement de la population qui, à conditions constantes, entraînerait logiquement l'augmentation de la demande d'imprimés. Cependant, les conditions ne sont pas constantes: baisse de la mortalité, affaiblissement puis quasi-disparition des crises démographiques majeures, allongement de la durée moyenne de vie, début d'un certain contrôle des naissances sont autant de tendances favorables à une attitude différente face à l'écrit et au livre. En particulier, la baisse du nombre moyen d'enfants par couple incite notamment à investir dans l'éducation, et donc dans les structures de formation et d'enseignement. De fait, un public élargi, même si toujours minoritaire, se procure les volumes ou les périodiques qu'il souhaite, entretient des correspondances dont certaines prennent les dimensions d'une œuvre littéraire. Pour le plus grand nombre aussi, le désenclavement autorise une certaine ouverture et la construction d'un autre rapport entre la ville et la campagne, introduisant un facteur lui-même un nouveau facteur dans les pratiques de consommation voire de lecture: l'imitation de la Cour par Paris qui sert ensuite de modèle à la province. Selon Barbier, la raison de ce changement serait politique: la génération 1670-1710 voit se renforcer l'effort de rationalisation. La perspective politique qui se construit inverse l'articulation ancienne: la gloire du prince qui constituait jusqu'ici l'élément central du système est remplacée par la puissance de l'État. Or, celle-ci est fonction du nombre et de la richesse des habitants qui déterminent le niveau des revenus publics. Pour Locke, la raison doit fonder l'organisation de la société en un contrat social qui fait des dirigeants les dépositaires temporaires du pouvoir. Le mouvement atteint son apogée dans les États des despotes éclairés: Allemagne, Russie, Europe centrale. Rien d'étonnant donc à ce que l'imprimé constitue le vecteur clé de la nouvelle constellation. A la base des Lumières, l'idée selon laquelle rationalisme et liberté d'examen sont les conditions du travail intellectuel et du progrès. La confrontation des idées et la diffusion des connaissances confortent le processus. De là découle l'importance de la conversation, de la sociabilité savante et des systèmes de communication et surtout l'imprimé. Diderot explique que les "signes servent d'entrepôt au commerce mutuel de nos idées". On note dès lors que la diffusion de l'écrit recouvre celle des Lumières.

Mais la tension se fait de plus en plus forte entre, d'un côté, le programme des Lumières, la montée de la demande et l'essor de la production imprimée, voire un modèle politico-culturel tourné vers l'ouverture, et, de l'autre, la difficulté à se dégager des catégories traditionnelles de la fermeture socio-professionnelle, du contrôle et des privilèges. La chronologie des réseaux du livre s'organise à long terme en trois temps. Le moment fort de l'invention intellectuelle se place au XVIIème siècle. Peu à peu, cette construction, d'abord abstraite, est systématiquement appliquée au champ de la vie en société, de la politique et de l'économie politique. Les Lumières voient le débat devenir public et un changement d'échelle se produire dans l'ordre des phénomènes. En outre, l'élaboration et la diffusion et la mise en oeuvre éventuelle des concepts et théories abstraites s'opèrent à travers des jeux d'échanges et de pratiques variées, dont beaucoup s'articulent autour de l'écrit et du livre. C'est à ce niveau que joue le processus d'accumulation sur lequel le changement prend appui par la suite, et c'est aussi à ce niveau que se fait la diffusion, lente et inégale, de nouveaux modes de vie, combinant passage à d'autres structures de consommation et de mutation des catégories culturelles. Partout, l'écrit et l'imprimé ont un rôle décisif, à la fois comme objets de consommations possibles et comme supports principaux du protocole d'acculturation progressive. Quatre domaines impulsent le changement qui fait passer à terme la majorité de la société européenne du côté de l'écrit: l'évolution des structures de diffusion, la montée des périodiques, l'ouverture de bibliothèques relativement publiques (La Laurentienne de Bandini à Florence par exemple) et l'organisation du champ littéraire. Par l'essor de la presse périodique s'invente la nouvelle économie de l'imprimé qui touche du même coup les livres. Un dernier indicateur du statut et du rôle de l'imprimé dans le mouvement des Lumières est donné par la sociabilité qui se déploie à son entour et qui comprend le développement des grandes bibliothèques et des collections ainsi que la constitution d'associations et d'institutions savantes portant le projet des Lumières.

 

Autour de l'imprimé, c'est tout un ensemble de formes et de pratiques qui sont à noter. Si les formes des objets, les pratiques de fabrication et les modes de lecture et d'utilisation sont caractéristiques de la "librairie d'Ancien Régime", ils n'en évoluent pas moins en profondeur au cours des deux siècles sur lesquels s'étend la période ici prise en compte. Ainsi, ces évolutions politico-culturelles vont quant à elles amener des changements de formes chez le livre imprimé et faire du style un véritable concept puisque les formes du livre font succéder le gothique, la Renaissance, le baroque et le classique avant de passer au rococo et au néoclassique.

 

III) La deuxième révolution du livre en marche (fin du XVIIIème siècle)

 

L'économie du livre évolue lentement et en profondeur pendant les deux siècles et demi de la "librairie d'Ancien Régime": d'abord, l'économie au sens strict, qui réunit système technique, calculs d'investissement et de rentabilité, et systèmes de distribution et de vente. Mais aussi l'économie au sens étymologique, c'est-à-dire la construction du livre comme un objet très complexe, et celle de pratiques d'utilisation et d'appropriation à son entour. Bien qu'essentiellement une économie de la sous-population, elle n'empêche pas que dès le XVIème siècle l'écrit se soit largement diffusé au-delà des seules catégories aisées et cultivées, en ville d'abord puis dans les campagnes. Le livre religieux est le classique du plus grand nombre, tandis que les logiques de fabrication, de diffusion et d'appropriation de l'imprimé dit populaire sont adaptées aux caractéristiques de son public potentiel. Dans le même temps, la chose écrite ou imprimée fonctionne comme un vecteur d'ordre et est à ce titre prise en mains par les pouvoirs de la ville, dans une société que l'on cherche précisément à policer. A l'inverse, l'oral, me cri et le tumulte sont gros des désordres qu'il convient de réprimer et prévenir. Depuis le XVIème siècle, autorités et administrations font publier des avis, ordonnances et règlements, proclamés par des tambours et affichés. Même en tenant compte de la moins bonne conservation des textes les plus anciens, la statistiques de Bologne met en évidence les temps forts d'une activité de réglementation qui, s'appuyant sur l'imprimé, encadre peu à peu tous les aspects de la vie: la courbe frémit dans la décennie 1530, elle décolle vraiment après 1545, puis en 1565 et en 1585. Partout affichées, des mesures sont prises pour fixer les prix, réglementer les affaires des divers métiers, organiser les fêtes et solennités publiques, promulguer les prohibitions ou publier les condamnations.

L'Histoire des lectures qui permettrait de compléter l'analyse de l'économie du livre pose encore problème. Barbier choisissait dans son Histoire du livre en Occident de présenter ce problème "trop rapidement" (d'après ses mots) en s'appuyant sur des oppositions par couples dans lesquels un élément peut être vu a priori comme traditionnel et l'autre plus moderne. Le premier couple est alors celui de l'analphabétisme et de l'alphabétisation, de la capacité ou de l'incapacité de lire, opposant villes et campagnes, mais aussi les différentes confessions (la Réforme et le judaïsme sont plus favorables à l'alphabétisation) et les appartenances socio-culturelles. Ce couple enveloppe l'opposition entre la lecture oralisée, faite en groupe ou pour soi-même (lecture murmurée), et la lecture silencieuse et individuelle, caractéristique de la modernité. Le second couple oppose la lecture intensive, celle du livre rare, constamment lu et relu, plus traditionnelle, et la lecture extensive, celle des bibliothèques plus riches, de la consultation, de la recherche de nouveaux textes. Le second XVIIIème siècle est aussi marqué par une modernité que les historiens allemands ont particulièrement étudié. Le modèle d'Ancien Régime, qui organise la vie de la collectivité autour de la Cour et des fonctions de représentations, tend à s'effacer face à la montée d'une bourgeoisie urbaine chez laquelle la pratique de la lecture est un dénominateur central, mais qui n'a aucun poids politique. Cette bourgeoisie des talents, ou sorte d'intelligentsia, est dispersée dans l'Allemagne et tend à ce constituer en opinion publique pour laquelle l'imprimé est le vecteur d'information et de formation idéal. La "révolution de la lecture" associe l'élargissement massif du public des lecteurs et la mutation des pratiques, des objectifs et des assignations sociales de la lecture: des lectures constantes, de type extensif, privilégiant le périodique et les contenus sécularisés. Il convient cependant de relativiser la spécificité allemande au vue de la "folie de la lecture" 'observe à travers toute l'Europe occidentale. Selon la théorie de Rolf Engelsing, la construction d'un marché national de l'imprimé s'appuie, en Angleterre, sur le décollage économique, en France, sur la révolution politique, et en Allemagne sur l'évolution des pratiques de lecture.

L'encadrement institutionnel et réglementaire de la librairie française du XVIIIème reste fondé sur des catégories classiques. La surveillance s'exerce d'abord sur le texte avec la censure royale. Du côté de l'édition, on entre dans le maquis des privilèges et des permissions. La surveillance s'exerce aussi sur les gens et sur leurs activités grâce à de multiples dispositifs. La tension croissante entre le réel et le normatif est d'abord réduite par la mise en œuvre précoce de pratiques de tolérance fondées sur le non-dit, avant que ne s'impose la nécessité d'adapter les catégories administratives. La position officielle devient de plus en plus difficile et les plus hauts administrateurs sont les premiers à essayer de combler le hiatus. Les difficultés ne sont pas surmontées pour autant, comme le montre le procès engagé en 1768 par Luneau de Boisjermain contre les éditeurs, accusés de ne pas avoir respecté les conditions de la souscription, initialement prévue pour dix volumes. Rien d'étonnant donc si les livres interdits sont reçus partout dans le royaume de France par exemple. La conjoncture longue, caractérisée par une lente accumulation, bascule à partir des années 1760. En France, cette période est marquée par une réflexion sur l'administration de la librairie. Autour de 1700, l'administration du média dans les îles britanniques se libéralise et on laisse le premier rôle aux investisseurs et aux agents économiques, tandis que des formes nouvelles de travail sont adoptées. Cette modernité est rendue possible par le changement de conjoncture dans ces territoires. Tandis que le Licensing Act (1695) autorise les presses dans les différentes villes anglaises, le Copyright Act établit le droit d'auteur et les éditeurs s'organisent en congers, faisant ainsi quasiment disparaître la contrefaçon qui continue malgré tout à faire la fortune des librairies écossaises et irlandaises. Bien que discuté et peu appliqué en France, en Allemagne et à l'étranger, son influence demeure certaine.

L'espace renvoie à la catégorie de l'intégration mais aussi à celle de la transgression: des géographies ouvertes à une liberté mercantiliste servent de refuge pour faire imprimer tel titre interdit ou pour contrefaire tel titre à succès. L'essor des "presses périphériques" permet de réduire la distorsion de plus en plus sensible entre la demande de nouveautés françaises et les possibilités d'une offre bridée par la censure et les privilèges. A proximité de la frontière, des imprimeurs-libraires publient à moindre coût et sans risque contrefaçons et textes interdits, ensuite diffusés à travers toute l'Europe et jusqu'en France par le biais de réseaux de contrebandiers organisés. La transgression joue aussi un rôle à l'intérieur des frontières: certains professionnels cherchent à profiter de la situation et créent des imprimeries clandestines, comme à Paris ou à Toulouse. D'une manière générale, la combinaison des trois fonctions, d'impression, d'édition et de diffusion, reste la règle et, dans une géographie comme celle de l'Allemagne, elle est de fait obligatoire dès lors qu'on atteint un certain niveau d'activité et qu'il faut, pour pouvoir s'insérer dans le "système de troc", disposer soi-même d'un catalogue de fonds dont on puisse négocier les titres. En France, la combinaison des trois fonctions est plus fréquente en province du fait de la concentration verticale des activités.

L'assise de la librairie française des "secondes Lumières" reste d'abord celle du livre religieux, mais cette domination d'abord sans partage tend à se faire plus relative et ce du fait d'un processus de sécularisation précoce, ce qui est une spécificité française. D'autres secteurs éditoriaux connaissent une conjoncture favorable, au premier rang desquels s'inscrivent les belles lettres et surtout les romans. Parmi les secteurs de pointe se trouvent aussi les livres dit par les libraires "philosophiques" mais qui étaient plus des livres interdits allant parfois jusqu'à la pornographie. La cartographie est depuis la fin du XVIIIème siècle l'un des points forts de l'édition scientifique française, grâce aux Sanson d'Abbeville et à la famille italienne des Cassini. Les deux dernières décennies de l'Ancien Régime voient l'apogée d'une production et d'une demande, qui certes existaient avant, mais qui connaissent un essor spectaculaire. Ce sont les plaquettes où sont présentées et discutées les questions d'actualité et dont la progression confirme le rôle croissant de l'opinion publique et de la publicité. Le problème des finances de l'État est au cœur du débat et explique le succès des deux rapports de Necker, son Compte rendu au roi (1781) et son Administration des finances e la France (1784). La production augmente encore avec la réunion des assemblées provinciales; puis la préparation et la réunion des États Généraux. Mais les titres majeurs ont tendance à masquer le phénomène dans sa globalité: la poussée est générale et l'on veut, en publiant une plaquette se faire connaître ou faire connaitre son action ou son opinion sur telle ou telle question en discussion. Une partie importante de l'essor de la librairie provinciale dans les deux décennies 1770 et 1780. Le livre emblématique des Lumières européennes et un des best sellers de l'édition d'Ancien Régime est l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert. Les comparaisons précises sont difficiles mais l'évolution de la production imprimée dans les différents pays permet de mettre en évidence la spécificité de trajectoires tendant à devenir nationales.

 

Conclusion

 

Les historiens du livre considéraient traditionnellement que le processus de modernisation était lié à la Révolution industrielle et au changement technique. Mais, comme pour l'arrivée de l'imprimerie en Europe, l'analyse du passage à la librairie industrielle suppose de distinguer innovation de procédé (invention de machines nouvelles) et innovation de produit. En outre, l'innovation de procédé est rendue possible par les déplacements antérieurs des marchés et par l'essor de la demande. Même si le rythme du changement varie d'un pays à l'autre, la chronologie de la seconde révolution du livre suppose ainsi d'être élargie au dernier tiers du XVIIIème siècle, époque où l'ouverture de la conjoncture débouche sur les changements structurels de l'industrialisation.

 

Dante

 

Sources

-L'invention de l'imprimerie en Chine (2009), par Thomas Francis Carter, éd Payot, Paris

-L'imprimerie: Historie et techniques (2007), par Michael Twyman, éd de l'ENS/Institut d'Histoire du livre, Lyon

-L'apparition du livre (1999), par Lucien Febvre et Henri-Jean Martin, éd. Albin Michel, chapitre VII "le commerce du livre"

-Cultures, sensibilités et société dans la France d'Ancien Régime (1996), par Vincent Milliot, éd.Armand Collin, chapitre 9 "la culture de l'imprimé"

-Société, cultures et mentalités dans la France moderne XVIème-XVIIIème siècle (2003), par Robert Muchembled, éd Cursus Armand Collin, chapitre 8 "la civilisation du livre"

-Histoire du livre en Occident (2012), par Frédéric Barbier, éd Armand Colin, collection U Histoire