La France: urbanisation ou désurbanisation totale?

09/03/2014 19:23

La France: urbanisation ou désurbanisation totale?

 

 

Introduction

 

I) La ville et son réseau

 

II) Les hiérarchies urbaines et le rôle de la ville dans le territoire

 

III) Désurbanisation ou urbanisation totale?

 

Conclusion

Sources

 

Introduction

 

L'objet ville est tout à fait particulier en géographie car il ouvre sur des problèmes de flux de tous types. Celles-ci naissent entre l'Antiquité, fort de leurs quelques milliers habitants, elles se sont très vite imposées comme des hauts-lieux de commerce et d'influences économiques diverses. Aujourd'hui, elles jouent toujours un rôle important dans l'économie tant à l'échelle nationale que mondiale. Cependant, s'il était facile au Moyen-Ages de les reconnaître, il en est autrement de nos jours. Aussi parle-t-on souvent soit de villes et campagnes, soit d'espaces urbains et ruraux et parfois avec des différences de significations subtiles. La ville, dans le dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés par Lévy et Lussault, publié en 2003, est définie comme un "géotype de substance sociétale fondé sur la co-présence". Il s'agit d'un territoire où les distances entre les objets qui la constituent tendent à s'annihiler. Cette "co-présence" se traduirait alors par des fortes densités de population, une forte diversité et des réalités matérielles constitutives de l'urbanité (logements, réseaux de transport). A cela s'ajoute une altérité assez forte pour faire société. Par opposition, la campagne serait le négatif de la ville et son lieu de naissance. Cette espace est donc marqué par des densités plus faibles et une diversité moindre. Il se distingue aussi par un habitat discontinu séparé par de vastes étendues non-construites façonnées par l'agriculture bien que la population active de ce domaine soit minoritaire. A ces deux types d'espaces s'ajoutent des espaces ni peuplés, ni cultivés et inhabités: les grands espaces en réserve. La délimitation ville/campagne peut se faire par différentes méthodes variant pour certaines presque chaque année. Une première se base sur la forme du bâti. La ville s'arrête quand le bâti devient discontinu et les masses démographiques trop faibles. Pour le cas français, l'INSEE définit la ville comme une commune ou un ensemble de communes (agglomération) regroupant une population d'au moins 2 000 habitants dans un ensemble d'habitations séparées de moins de 200 mètres. Cette méthode a cependant ses limites car elle change de critères en fonction des pays. Ainsi, le seuil démographique est à 20 000 habitants tandis qu'au Japon il est à 50 000 et en Islande 300. Une autre se base sur un critère administratif: la décision politique de déclarer une entité géographique "ville". Cela se traduit par l'obtention d'une franchises laissant alors place à une hiérarchie des villes en fonction de l'importance. Toutefois, l'obtention de franchises n'est pas déterminante et une ville peut en être une légalement sans en avoir les critères géographiques. Dès lors peut être ajouté un critère fonctionnel. On se base sur les fonctions que la ville localise et son rayonnement dans l'espace (attractivité pour les clients, travailleurs, jeunes, touristes et autres migrants). Cela peut se faire sur le critère des emploi comme le fait l'INSEE en comptant la localisation d'une fonction et son attractivité. L'organisation arrive alors à délimiter une "aire urbaine".

 

On peut dès lors distinguer trois types de pôles urbains: les grands avec plus de 10 000 emplois, les moyens avec un nombre d'emploi entre 5 000 et 9999, et les petits entre 1500 et 4999. Cette distinction morphologique et fonctionnelle car on observe une unité urbaine. La couronne urbaine, quant à elle, a 40% de sa population active employé dans le pôle urbain. Enfin, une ultime méthode permet de délimiter la ville sur la base des représentations et pratiques des individus. Il s'agit d'une approche plus subjective mais qui met en valeur une chose souvent oubliée: la ville et la campagne sont des espaces vécus, les représentations déterminent donc aussi leur définition. Ainsi, la banlieue est perçue comme la campagne par les habitants de Paris Intra Muros bien qu'elle fasse partie intégrante de l'aire urbaine parisienne selon les autres définitions. Cette délimitation subjective est d'autant moins à laisser de côté étant donnée que la place de l'individu prend de plus en plus d'importance dans les sociétés modernes comme la France. Il devient en effet progressivement acteur du territoire à différentes échelles et façonne de plus en plus son espace de vie. Par exemple, aux abord des grandes villes, des petits villages de la couronne périurbaine tendent à vouloir rester ruraux et préserver un cadre relativement campagnard par des mesures municipales. C'est le cas de Saint-Cyr-en-Val près d'Orléans. Bien que de source subjective, il est possible par des enquête sur des tendances générales (sondages,...) d'obtenir une donnée objective étudiable. Il y a donc des manière bien variées de délimiter la ville et la campagne, en sachant que ces méthodes peuvent se compléter.

Il faut comprendre que la distinction ville/campagne est une approche purement territoriale qui ne fait que distinguer deux types d'espaces. Une autre distinction permet plus de nuance: la délimitation espace urbain/ espace rural. Contrairement aux discours de l'INSEE, celle-ci n'est pas synonyme de la distinction ville/campagne et identifie des espaces qui sont plus ou moins urbains. Il s'agit d'une approche issue du gradient d'urbanité de Jacques Lévy inventé dans les années 1990. Ce gradient présente une succession de plusieurs géotypes urbains ayant plus ou moins d'urbanité.

 

Le Gradian d'urbanité actuel issu de Jacques lévy

 

Urbanité

Géotype

++

Géotype central

(le centre-ville historique)

+

Géotype suburbain

(la banlieue)

-+

Géotype périurbain

-

Géotype infra-urbain

--

Géotype non-urbain

(peuplement et espace ni urbain

ni agricol voire autochtone)

 

Peu à peu, l'urbain est devenu substantif et certains auteurs comme Françoise Choay ont fini par parler de la mort de la ville au profit de l'urbain. Cela s'explique par la forte urbanisation que la France connaît depuis le XIXème siècle qui s'étalent toujours plus loin des centres-historiques et aboutit progressivement à la mise en réseau de l'espace français polarisé par les pôles urbains. On arrive donc à deux définitions complémentaires et parfois concurrentes de la ville: une passant par la métrique topographique et qui met en valeur le territoire ville consistant en une approche morphologique d'un espace délimité et des identités, et une passant par la métrique topologique et qui montre une ville-réseau pouvant se penser comme un centre de commandement et un nœud dans un réseau de flux divers. Faut-il donc penser la mort de la ville comme le faisait Françoise Choay ou bien voir en France un phénomène d'urbanisation totale?

 

I) La ville et son réseau

 

Pour comprendre la ville dans le contexte français, il faut tout d'abord voir comment s'inscrit l'objet ville dans le phénomène d'urbanisation sur le territoire national, soit la transformation des espaces agricoles en espaces urbains. On observera alors que de ce développement des villes sur le territoire français naît un réseau urbain macrocéphale se transformant actuellement peu à peu en système de villes. L'essor des villes en France comme dans la majeure partie du monde commence dès l'Antiquité et, dans l'hexagone, il prend une tournure tout à fait particulière de nos jours. Au cours de la période antique se distinguaient en France deux types de villes: les centres gallo-romains comme Autun et les colonies ou comptoirs grecs comme Marseille ou Nice. Les centres gallo-romains étaient organisés autour des axes cardo et decumanus sur lesquels se trouvent encore quelques vestiges dont des théâtres, des thermes, des forums, des marchés. Les colonies et comptoirs grecs quant à eux avaient une configuration spatiale identique aux cités grecques avec un acropole dominant le port. Aux centres antiques parfois associés un centre médiéval. En effet, le Xème et XIIème siècle marquent véritablement une renaissance urbaine débouchant sur la croissance de villes et de bourgs autour notamment des activités marchandes. La ville française déborde de ses murailles et les faubourgs s'accolent aux bourgs pour absorber la croissance urbaine et et accueillir les activités que la ville de veut pas (travail des peaux, forges, léproserie,...) ainsi que les artisans et commerçants cherchant à échapper à l'octroie. D'autres sont construites ex nihilo et n'ont pas de centres antiques. Elles sont repérables le plus souvent par la toponymie (Villeneuve, sauveté,...). Dans tous les cas, le centre médiéval se distingue par la place centrale d'une église ou d'une cathédrale, l'enchevêtrement de rues étroites, le tracé des anciens remparts qui subsiste dans la voirie, et parfois la présence de maisons à colombage et encorbellement. Les villes de l'époque classique et moderne se dénotent par un dessin géométrique d'un plan en damier et de larges places aérées marquées par le caractère imposant des bâtiments. La place Stanislas à Nancy inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO en est un exemple flagrant. A cette époque, d'autres villes sont équipées de forteresses en étoile de la période Vauban tandis que des citadelles sont construites ex nihilo. Dans les villes marquées par la fonction commerciale, notamment internationale, de nouveaux quartiers accueillent les hôtels particuliers à l'instar du quai de la Fosse à Nantes.

Les révolutions industrielles ont marqué le tissu urbain français au XIXème siècle. L'urbanisme se caractérise à cette époque par la géométrie de la voirie, les grandes percées inspirées par les travaux d'Haussmann à Paris, les immeubles cossus en pierre, aux façades décorées de sculptures, avec une hiérarchie socio-spatiale très stricte (le premier étage pour les familles bourgeoises et les étages sous le toits pour les chambres des domestiques). Le XIXème siècle est aussi le temps de la déconcentration industrielle: les industries, d'abord situées en centre-ville, migrent vers les périphéries pour des raisons d'espaces et de sécurité entrainant la formation de banlieues industrielles tandis que les industries lourdes restent près des gisements engendrant alors des villes dites "champignons" comme Lens. Ainsi, la croissance urbaine (l'accroissement démographique de la ville et son extension spatiale) se poursuit régulièrement à partir du XIXème siècle, tout d'abord sous la forme de faubourgs peu à peu intégrés aux nouvelles limites communales avec la destruction des murs d'enceinte puis de la banlieue. Au départ, l'expression "banlieue" désignait les terres soumises à la juridiction de la ville et au droit du bans dans un rayon d'une lieue puis au XIXème siècle, les environs immédiats de la ville. Cette ceinture urbanisée forme alors avec la ville-centre une agglomération continue. Placées sous l'étroite dépendance de cette ville-centre, les banlieues françaises du début du XXème siècle présentent de fait une physionomie singulière de par son identité forte, les constructions basses, de plus en plus resserrées au fur et à mesure que l'on approche de la ville-centre, et beaucoup moins organisées quand on s'en éloigne. Toutefois, l'imbrication ville/campagne reste encore pendant longtemps très forte avec la présence de petites maisons ouvrières dotées d'un jardinet. De plus, des lotissements d'initiative privée à destination de la bourgeoisie se sont construits en région parisienne dès la seconde moitié du XIXème siècle et ont fini par devenir des communes à part entière comme le Vésinet ou Alfortville. Le XXème siècle, en plus d'hériter de ces tendances, se distinguent pour ce qui est des villes par les formes que prend la croissance urbaine qui s'accélère à partir des années 1950 et dépasse les 2,5% par an. A cette période, la ville progresse vers ses périphéries, tout d'abord par la formation d'auréoles concentriques, puis par un développement en doigts de gant le long des axes de transport. Afin de contenir l'explosion démographique, des habitats collectifs sont construits. En 1958 sont crées les ZUP (Zones à Urbaniser en Priorité) soit un cadre juridique permettant de bâtir de grands ensembles caractérisés par un regroupement de barres et/ou de tours sur un espace limité. La banlieue s'étoffe aussi de petits habitats collectifs. La ville ne cesse donc d'empiéter sur la campagne environnante. Les champs reculent face au front d'urbanisation tandis que les lotissements se multiplient dans les campagnes en "tâche d'huile" créant ainsi un espace périurbain à la fois spatialement disjoint de la ville et sous la dépendance de celle-ci.

Comme le disait le géographe Pierre George, "la ville fait sa région". Le territoire français est structuré par le semis des villes. Chaque ville organise l'espace qui l'environne. Elle est centre polarisant un espace plus ou moins étendu qui peut aller de la campagne proche à d'autres unités urbaines plus ou moins éloignées qui assurent un niveau de services moindre. En effet, plus un service est rare et plus un individu est prêt à accepter un coût de déplacement important. Toute ville a donc son aire d'influence qui reflète en premier lieu la nature, la diversité et la qualité des services offerts. C'est le degrés d'influence de ces villes qui permet de déterminer la hiérarchie urbaine structurant le territoire: plus une ville a de pouvoir organisateur plus son rang dans la hiérarchie est élevé. Au sein de cette hiérarchie, les villes établissent des relations entre elles. Elles forment alors un réseau urbain à l'échelle nationale et régionale sur le territoire français. A la première échelle, la France est largement marquée par un réseau macrocéphale centré sur Paris. La capitale a le plus gros poids démographique (2ème ou 3ème poids national selon l'année, dix fois celui de Lyon et Marseille) et concentre les principales fonctions de commandement. En effet, étant siège du pouvoir national, cette "Babylone" ou "ville de toutes les tentations", de l'expression de la romancière Christine Angot, accueille la quasi-totalité des sièges sociaux des entreprises françaises et étrangères. En outre, elle continue de concentrer les principales fonctions intellectuelles et culturelles malgré la politique de décentralisation des dernières décennies. Paris est d'autant plus influente grâce à son aire d'influence qui s'étend sur 200 kilomètres, empêchant ainsi l'apparition de pôles concurrents. Du fait de cette macrocéphalie du réseau urbain, la France se rapproche grandement d'autres pays européens comme le Royaume-Uni, également héritier d'une construction territoriale centralisée. En revanche, les réseaux urbains sont beaucoup plus diversifiés à l'échelle régionale. On retrouve évidemment des réseaux monocéphales comme dans le bassin parisien où Paris reste un pôle écrasant ou dans la région Midi-Pyrénées avec Toulouse. Cependant, il est possible d'observer des cas de bicéphalie comme dans le Sud-Ouest avec Toulouse et Bordeaux, au Nord-Ouest avec Rennes et Nantes, ou dans la région Centre avec Orléans et Tours. Il s'agit souvent d'un legs du morcellement administratif du territoire, les deux villes pouvant être capitales de régions ne correspondant pas aux anciennes entités historiques. Au Nord, le réseau urbain, très dense, s'organise autour de Lille et a tendance à adopter une dimension transfrontalière avec la conurbation Lille-Roubaix-Tourcoing. Dans l'Est, le réseau se distingue par l'émiettement des aires d'influence: Nancy/Metz, Dijon, Strasbourg, Besançon ou encore les centres des Vosges dont l'influence se limite parfois une vallée. De même, si un axe mosellan et un axe alsacien se dessinent, aucune ne ressort véritablement comme pôle majeur. Enfin, un réseau linéaire s'organise de Perpignan à Nice dans le Sud-Est méditerranéen. A l'Est, Marseille apparaît comme un centre dominant bien que limité dans son aire d'influence à l'Ouest avec celle de Toulouse et Montpellier et dans les Alpes-Maritimes par celle de Nice. Il est cependant important de noter que ces différents réseaux urbains ne concernent pas la totalité su territoire français. En effet, de vastes espaces restent à ce jours faiblement polarisés comme le Massif Central partagé entre l'influence des villes sur ses marges (Clermont-Ferrand, Limoges, Montpellier) et où aucun réseau urbain ne ressort véritablement. En outre, des certaines villes se trouvent entre deux réseaux comme Besançon tandis que d'autres en sont complètement écartés comme Digne ou Gap.

Au départ fondée sur la nature des fonctions offertes, la hiérarchie urbaine s'appuie à présent sur l'accès de la ville aux différents réseaux de transport et de télécommunication. La zone d'attraction obéit désormais à une logique discontinue dans la mesure où l'insertion de la ville dans les réseaux de transports performants et rapides lui permet d'étendre la portée de ses services et son potentiel d'attraction. Les territoires non-intégrés à ces réseaux deviennent dès lors des périphéries mal-intégrées, dominées et marginalisées. On passe alors peu à peu de la notion de réseau urbain à celle de système urbain. Un système désigne une organisation complexe d'éléments solidaires entre eux qui sont en interaction quasi-permanente. Un réseau urbain banal se base sur des relations verticales entre un centre dominant et des centres secondaires dominés. Hors, si ce type de relation n'a pas disparu, il se double d'interactions entre les villes de même rang, soit de relations horizontales, autour de relations de complémentarité ou de concurrence en fonction de l'activité. Ces nouvelles relations peuvent se matérialiser par des flux de populations, de capitaux, de matériaux diverses ou d'informations et ignorent entièrement les territoires les plus proches car elles mettent en relation des espaces qui peuvent être très éloignés physiquement les uns des autres. La logique de la métrique topologique prime donc dans ces systèmes urbains. En conclusion, l'urbanisation a amené les villes à s'organiser en hiérarchie formant alors des réseaux urbains. Cependant, ces réseaux se font de plus en plus complexes et deviennent de véritables systèmes urbains où la topologie (intégration au réseau) prévaut sur la topographie (proximité physique).

La formation des systèmes urbains s'explique aussi par le phénomène de métropolisation qui touche la France et qui modifie radicalement les territoires urbains, bien que tous ne soient pas concernés au même degrés. La définition de la métropole, bien qu'ambigüe, permet d'observer une nouvelle hiérarchie joint à la hiérarchie urbaine plus globale. La métropolisation s'analyse comme la traduction urbaine de la mondialisation soit de l'interconnexion croissante des économies et des sociétés résultant d'une nouvelle phase historique d'un capitalisme à présent émancipé des frontières nationales. Selon François Ascher, "étymologiquement, la métropole est la cité grecque ancienne, mère de ses colonies, qui exporte ses guerriers, ses commerces et ses dieux. Cette image sied bien à la grande ville moderne, qui se définit plus par le rayonnement international de ses entreprises, de ses capitaux, de ses universités, que par des fonctions traditionnelles régionales et par un arrière-pays dont elle tirait ressources et puissance". Le terme "métropole" renvoit donc à l'idée de domination et de régulation. Deux critères permettent de définir cette ville particulière. Le premier est la place de cette entité dans le réseau urbain. D'après le géographe Guy Di Méo, la métropole est un "noeud décisionnel dans un réseau de villes", un "lieu d'impulsion, de créativité, d'émission d'ordres et de connexion ddes flux les plus variés qui parcourent l'espace". Il s'agit d'une ville qui domine le réseau urbain. Toutefois, ce critère est insuffisant car il s'applique aussi bien à une métropole qu'à une capitale. Ainsi, le second serait la présence de certaines fonctions de commandement économique, politique, financier et/ou culturel, dont le rayonnement dépasse largement l'aire d'influence traditionnelle de la ville en question et lui permettant de participer voire de structurer la mondialisation. Ces fonctions métropolitaines s'appuient sur des services stratégiques des entreprises. Ce "tertiaire supérieur" de l'expression de la géographe Magali Reghezza-Zitt, concerne principalement l'encadrement et l'administration, la direction des sièges sociaux des très grandes entreprises, les services financiers et bancaires, l'assurance, les activités de la production et la diffusion de l'information. La métropole se distingue aussi par les fonctions logistiques: la qualité des infrastructures de transports, la présence d'aéroports internationaux ou encore de plateformes multimodales en sont des bases essentielles. En outre, l'industrie ne disparaît pas face à la puissance des services et prend même, bien que minoritaire, un caractère spécifique par son aspect technologique, la part de la recherche et du développement, et la dimension internationale voire multinationale de ses entreprises.

En analysant ces métropoles et leurs relations, on en vient à déterminer une nouvelle hiérarchie, cette fois-ci métropolitaine. Le facteur déterminant est ici la concentration des pouvoirs de commandement et la diversité, la densité et la qualité du "tertiaire supérieur". Se distinguent alors les métropoles complètes dont le rayonnement s'effectue dans tous les domaines et les métropoles incomplètes qui ne possèdent pas toutes les fonctions métropolitaines mais seulement une partie.

 

Hiérarchie Métropolitaine Française

Métropole complète

Paris, capitale politique au rayonnement international

Métropoles incomplètes

Lille, Lyon, Nantes, Toulouse, Strasbourg au rayonnement européen (politique pour Strasbourg, culturel pour Nantes, technopolitaine pour Toulouse)

 

A cela s'ajoutent des villes comme Marseilles, Nice, Bordeaux ou Nancy qui entame leur métropolisation. On peut donc parler de métropoles entre concentration et spécialisation des territoires urbains.

La métropolisation est à l'origine de profondes recomposition spatiales et fonctionnelles à toutes les échelles car elle redessine la hiérarchie urbaine sur de nouveaux critères et participe à la formation de systèmes de villes. L'intégration des territoires à la mondialisation s'appuie en effet sur de vastes aires urbaines constituant à l'échelle infranationale de véritables point d'ancrage de l'économie globale. Dans ces territoires, la restructuration spatiale du marché du travail aboutit à une organisation polycentrique qui succède au modèle traditionnel centre-périphérie. L'atout des métropoles est la diversité des services offerts mais cela s'accompagne d'une spécialisation à une échelle plus fine. Il y a ainsi concentration de fonctions métropolitaines d'un type précis dans certains lieux comme la quartier d'affaires, le technopôle ou encore le pôle logistique. La métropole impose voire substitue donc des organisations réticulaires au modèle mono-centrique qui structure encore largement l'urbanité classique. Elle est un territoire multipolaire aux frontières floues, composé de lieux discontinus, qui forment des centralités secondaires reliés par des réseaux de transports et de communications permettant une grande accessibilité et de nombreux échanges d'informations. Penser la métropole implique donc de dépasser les rapports de proximité fondant l'urbanité traditionnelle ou le simple processus de desserrement des emplois de la population caractérisant l'urbanisation en tant que dynamique afin d'envisager des interrelations complexes et multi-scalaires indépendante des logiques locales. On peut largement le constater en Île-de-France. En effet, l'emploi s'est relocalisé de façon sélective entre 1975 et 1999 dans toutes les régions urbaines en direction des banlieues proches et de pôles d'emploi périphériques à l'instar des villes nouvelles et des pôles industriels spécialisés. Ce changement d'échelle entraîne alors la spécialisation de certains lieux dans un secteur d'activités métropolitain précis. Cette sectorisation se marque notamment par la dissociation de plus en plus forte de Paris intra muros (le centre parisien à proprement parler) et le centre d'affaire avec la formation de véritables "financial districts" comme la Défense. Il en est de même à Strasbourg où le "quartier de l'Europe" se situe à l'écart du centre traditionnel de la ville. Il y a donc bel et bien naissance d'un réseau polycentrique. Pour autant, la métropole ne met pas fin à d'anciens équilibres et déséquilibres territoriaux préexistant à l'échelle régionale. Dans la région parisienne, la diffusion des emplois métropolitains a même accentué le déséquilibre Est-Ouest: le centre de l'agglomération poursuit sa spécialisation dans les fonctions supérieures de commandement politique, économique et culturel tandis que l'Ouest se spécialise dans les emplois de cadres dans l'industrie et de services aux entreprises et l'Est dans les emplois de techniciens et dans la logistique. Elle conforte aussi le modèle centre-périphérie, la périphérie accueillant désormais les fonctions de fabrication et les services du quotidien les plus courants. Pour finir, la formation de vastes régions métropolitaines ne place pas pour autant les espaces régionaux dans l'orbite de la ville-centre: les villes du Bassin parisien sont intégrées à des réseaux urbains parallèles dans lesquels elles sont en relation avec des villes de leur niveau. La métropolisation a donc amené à de nouvelles logiques spatiales modifiant alors le fonctionnement des espaces urbains et engendrant la formation de territoires polycentriques et réticulaires.

La métropolisation aboutit peu à peu à des processus de concentration et de spécialisation fonctionnelle accroissant l'hétérogénéité entre les villes et à l'échelle infra-urbaine. En effet, tous les territoires de l'espace urbain ne sont pas intégrés de la même manière à la métropolisation: les technopôles et quartiers d'affaires deviennent de véritables territoires métropolitains tandis que le quartier résidentiel et l'espace de loisir, moins intégrés, restent dans les logiques de l'urbanité classique. L'hétérogénéité peut se retrouver à des échelles plus petites étant donné qu'un même bâtiment peut y accueillir les fonction du tertiaire supérieur (sièges sociaux) et du tertiaire banal (commerce de proximité).

La métropolisation est un processus sélectif car elle privilégie les territoires qui sont déjà les mieux dotés et les plus avantagés. Elle favorise la concentration des richesses et de fait est en partie ce qui conduit à accuser les inégalités entre les villes et à l'intérieur de celles-ci. Elle est en outre la cause d'une hausse des écarts de revenus entre les populations tout en renchérissant le coût du foncier dans des territoires soumis à une pression foncière déjà importante. Dès lors, à l'échelle nationale, le revenu disponible brut d'un habitant d'Ile-de-France restait de 25% supérieur à la moyenne de l'ensemble de la population française. Mais parce que les revenus des ménages qui vivent en dessous du seuil bas de revenu régional ont augmenté plus lentement que ceux des autres ménages, il est devenu plus difficile pour les populations les plus démunies d'accéder aux logements en région parisienne. En à peine dix ans, on observe une augmentation du nombre de demandes de logements sociaux tandis que l'Ile-de-France représente environ les deux tiers des demandes nationales en ce qui concerne l'application de la loi du droit au logement. Les études de l'INSEE les plus récentes montrent aussi que ces inégalités sociales se spatialisent. L'INSEE montre notamment des disparités importantes de revenus entre les quadrants Sud et Ouest d'une part et les quadrants Nord et Est de l'agglomération d'autre part. A une échelle encore plus fine, certains territoires se trouvent marginalisés et ce parfois au sein même d'une commune ou d'une aire urbaine. Ainsi, les émeutes de 2005 qui ont commencé à Clichy-sous-Bois ont rappelé l'existence de ces "territoires de l'exclusion, qui se sont développés à moins d'une demi-heure de Paris" comme l'explique Magali Reghezza Zitt dans son ouvrage la France dans ses territoires. La métropolisation accélère de fait le creusement des inégalités sociales et spatiales, prenant alors part au développement des processus ségrégatifs. La paupérisation des territoires non-intégrés à la métropolisation se traduit par la présence d'emplois peu qualifiés, des taux de chômages importants, et un revenu des ménages plus faible. Les rentrées fiscales sont moindres afin que le niveau d'équipement soit des plus bas dans ces territoires. L'accès aux transports y est des plus difficiles. Les populations y sont donc doublement exclues, l'intégration à la dynamique métropolitaine nécessitant un certain potentiel de mobilité et un niveau de formation relativement élevé. La métropolisation qui explique la formation des systèmes de villes changent donc radicalement les logiques territoriales sans pour autant les éliminer complètement et est source de nouvelles inégalités socio-spatiales entre les villes et au sein même de ces dernières.

 

II) Les hiérarchies urbaines et le rôle de la ville dans le territoire

 

Malgré l'importance des changements observés depuis un demi siècle, force est de constater que la France est moins en recomposition qu'en transition territoriale pour ce qui est de ses villes et ses espaces urbains. Aux logiques anciennes se superposent de nouvelles dont les effets sont plus ou moins forts en fonction du degré d'achèvement des dynamiques de croissance urbaine, de périurbanisation et de métropolisation. Ainsi, du fait de son Histoire et sa place dans le système urbain français, l'agglomération parisienne ne peut qu'être l'objet d'un traitement particulier. Elle est en effet pure singularité comparé aux autres agglomérations du territoire national que ce soit pour sa taille, ses fonctions, son organisation et aujourd'hui sa place dans les réseaux mondiaux. L'agglomération parisienne reste encore aujourd'hui en tête des classements nationaux tant par sa population que par le nombre d'emploi ou encore la contribution au PIB du pays. En 2006, l'Ile-de-France n'accueillait que 52 grands groupes étrangers internationaux contre 57 au Japon. Les groupes franciliens réalisaient 40% de leur chiffre d'affaire à l'étranger tandis que les groupes étrangers produisaient 29% de la valeur ajoutée industrielle francilienne. La région parisienne est donc pleinement intégrée à la mondialisation. Cette insertion au réseau globalisé a profondément bouleversé la structure de l'emploi francilien. En 2008, le secteur tertiaire représentait plus 80% du PIB de l'Ile-de-France. Dans ce secteur, les activités rattachées à l'innovation et à l'économie de la connaissance deviennent majoritaires. L'économie francilienne demeure cependant plus diversifiée que dans d'autres métropoles de rang international avec une base industrielle qui représente 15% du totale des activités soit un élément non-négligeable. De plus, les emplois sont de plus en plus qualifiés. A l'échelle de l'Ile-de-France, les cadres supérieurs, les professions libérales et de patrons de commerce, d'industrie ou d'artisanat composent près d'1/3 de la population active. Un quart concerne les professions intermédiaires et un cinquième du total correspond aux employés de bureau, de commerce, de services (on compte avec eux les domestiques). En fin, un autre cinquième est représenté par les ouvriers qui contre toute attente sont bien plus nombreux dans le tertiaire que dans l'industrie. La structure socioprofessionnelle se distingue donc largement de la moyenne française en accordant plus de place aux emplois qualifiés et très qualifiés, ce qui montre d'autant plus son intégration à la métropolisation.

Toutefois, la métropolisation n'affecte pas de la même manière l'ensemble de l'agglomération. Les activités du tertiaire supérieur sont très concentrées. Les emplois liés aux administrations publiques relevant de la fonction de capitale sont regroupés dans Paris intra muros, dans le huitième et le septième arrondissement. L'enseignement supérieur et la recherche se situent dans le cinquième et le sixième arrondissements. Les activités de la finance, que ce soit les banques et assurances, se localisent dans l'Ouest de l'aire métropolitaine. A cela s'ajoute que ces activités ont lentement changé d'implantations. Au départ situées dans les premier et deuxième arrondissements de Paris (quartier de la Bourse), elles ont migré vers huitième (Triangle d'or, Champs-Elysées, quartier du Roule), le neuvième, le Nord du seizième puis le dix-septième arrondissement. Puis elles se sont à nouveau déplacées du côté de la Défense voire au-delà comme le montrent celles implantées à Rueil-Malmaison. Certes, des pôles secondaires se sont formés dans l'Est parisien autour de la Tour Montparnasse (14ème arrondissement), de la gare de Lyon et de Bercy (12ème arrondissement) mais sans parvenir à concurrencer l'Ouest parisien, désormais véritable hypercentre. Au final, seuls les services aux entreprises qui représentent près de 925 000 emplois sont plus diffus car ils privilégient la proximité à leur clientèle. Ainsi, les cabinets de conseil, les bureaux d'études, les entreprises d'informatique, de marketing et de publicité adoptent des localisations souvent en proche banlieue, où la pression foncière est aussi moins élevée. A l'échelle infra-métropolitaine, on retrouve la concentration des emplois du tertiaire supérieur. Des pôles secondaires émergent dans les différentes couronnes de la périphérie. C'est le cas du département de Seine-Saint-Denis où un pôle logistique se constitue près de l'aéroport Roissy-Charles De Gaulle. De même, dans le Sud de l'agglomération, le plateau de Saclay est un technopôle de rayonnement international avec une partie de l'université Paris XI (Orsay) et les laboratoires du CNRS, l'Ecole Polytechnique, le centre du CEA, HEC, ou encore Supélec. Des entreprises de rayonnement mondial comme Danone, Thalès et Kraft Foods, y ont aussi implanté leurs laboratoires. Ce polycentrisme est largement encouragé par les pouvoirs publics. Le projet de "cluster scientifique" (définition) voit le jour en 2010 dans le cadre d'un opération d'intérêt national afin de faire du plateau de Saclay un équivalent français de la "Silicon Valey" notamment par la délocalisation de l'ENS-Cachan ou l'Ecole des Mines. Le projet est financé par le grand emprunt et le Plan Campus et a été jusqu'ici porté par le président de la République ce qui rappelle la tutelle de l'Etat sur Paris.

Dans ce contexte, penser la métropole parisienne implique donc de combiner au moins deux échelles. On peut tout d'abord s'interroger, à l'échelle mondiale et européenne, sur le statut de ville globale de Paris étant donné qu'elle est en concurrence directe avec Londres qui peut se prévaloir de fonctions financières plus développées et du premier aéroport d'Europe. Selon les années, Londres est placée devant Paris pour ce qui est du PIB. Il faut ici garder à l'esprit que le PIB des deux régions métropolitaines équivaut à celui des Pays-Bas soit du 9ème Etat au classement de l'organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Certaines études tendent en outre à montrer un affaiblissement de Paris au niveau européen. La métropole doit aussi se penser à l'échelle des "territoires du quotidien" comme le dit Magali Reghezza-Zitt. La métropolisation a en effet eu des conséquences négatives sur les conditions de vie des habitants comme les difficultés d'accès au logement et l'exiguïté de ces derniers, le coût de la vie plus important, le temps de déplacements quotidiens élevés et les difficultés de circulation et de stationnement. A cela s'ajoutent des problèmes qui ne sont pas propres à Paris et sa région mais qui se posent avec plus d'acuité tels que le vieillissement de population, la dégradation du parc de logements, la détérioration de l'environnement et les risques de ségrégations socio-économiques. Encourager la métropolisation en diminuant ses effets négatifs semblent un objectif encore difficile à atteindre. Face à Paris, les autres grandes villes françaises apparaissent comme des métropoles incomplètes bien que certaines aspirent à une insertion dans le système des métropoles européennes. Reghezza Zitt parlait d'ailleurs d'un "paradoxe" car des villes secondaires du système urbain français commence à acquérir un certain rayonnement à l'échelle européenne. Ces grandes villes adoptent des stratégies originales afin de s'insérer dans le système métropolitain. En effet, si certaines villes ont bénéficié très tôt d'une centralité héritée comme Lyon ou d'une activité technopolitaine structurante comme Toulouse avec l'aéronautique et l'aérospatial, d'autres se sont basées sur des secteurs métropolitains innovants. C'est ce qui sera présenté avec trois études de cas autour des villes de Lille, Nantes, et Nice qui en sont des exemples flagrants.

La ville de Lille au Nord de la France continentale est passé d'une politique de reconversion industrielle classique à la construction d'une véritable "eurocité". Dans les 1990, la plupart des élus étaient en effet convaincus que l'ouverture européenne permet un meilleur développement urbain. Ils obtiennent dès lors que le TGV européen passe par le centre de la ville. La communauté urbaine de Lille (CDUL) lance donc six grands projets d'aménagement destinés à ouvrir l'agglomération à l'Europe et esquissant du même coup une centralité polynucléaire: l'Eurotéléport de Roubaix, deux zones d'aménagement concerté (ZAC)-l'une à Tourcoing et l'autre à Roubaix- le Centre International de Transport de Tourcoing, la plateforme multimodale de Lomme et l'agrandissement de l'aéroport Lille-Lesquin. La CDUL entame aussi une vaste opération de renouvellement urbain autour de la nouvelle gare nommé Lille-Europe. Celle-ci est entièrement centrée sur le quartier d'affaire Euralille construit sur d'anciens terrains militaires. Dans le même temps, l'intégration européenne se poursuit notamment par l'installation de structures de coopération transfrontalière. Ainsi, la conférence intercommunale transfrontalière franco-belge permet de mettre en place de nouveaux projets d'aménagement comme une autoroute de contournement ou encore un métro. Peu à peu naît une conurbation métropolitaine transfrontalière à la fois entité spatiale fonctionnellement cohérente et pure construction politique. Lille peut dès lors prétendre au titre de métropole européenne en s'appuyant sur les fonctions logistiques et universitaires. C'est de cette manière que Lille a pu devenir en 2004 la capitale européenne de la culture, changeant alors son image de simple ville industrielle en reconversion.

Nantes, autrefois appelé la "belle endormie de l'Ouest", a usé de la culture comme "catalyseur" de la métropolisation selon les dire du géographe M. Gravari-Barbas. En effet, il y a eu un usage délibéré de l'événementiel par les acteurs locaux pour montrer des lieux jusqu'ici marqués par la crise et la reconversion industrielle différemment. De nombreux événements festifs et culturels ont ainsi été organisés tels que les Allumés qui annoncent les Nuits Blanches parisiennes ou encore les Folles Journées et le réaménagement de l'Ile-de-Nantes. Ces différents événements ont contribué à changer l'image de la ville tout en confortant son attractivité touristique mais aussi les mobilités résidentielles de cadres et chercheurs. La ville exporte désormais son nom grâce à l'événementiel: Royal Deluxe a prêté ses géants pour la cérémonie de la chute du mur de Berlin et la compagnie de théâtre de rue aide au rayonnement nantais. Nantes s'intègre donc par le biais de la culture au système de métropoles européennes. Nice est le dernier exemple de ce type de métropolisation originale. En effet, c'est au cours des années 2000 que la ville décide de passer du statut de "ville bleu" basée sur le tourisme à celui de "ville verte" fondée sur l'écologie et se voulant un modèle d'excellence en la matière. Constatant le manque de terrain disponible qui augmente considérablement le coût foncier et limite le développement urbain, les élus locaux ont lancé une gigantesque opération d'aménagement: l'éco-vallée, qui se veut un modèle et un laboratoire d'innovation écologique. Celle-ci a été ensuite inscrite dans le cadre d'une opération d'intérêt nationale. Il s'agit ici de développer le secteur de la recherche et du développement autour des technologies vertes et des énergies propres, de renfoncer l'attractivité touristique en renouvelant l'image de la ville et de redonner des perspectives de croissance au secteur du bâtiment à la base de l'économie locale. Si les choix d'aménagement et l'adéquation des objectifs à la pratiques sont discutés, il n'en reste pas moins que la durabilité devient au même titre que la frontière ou la culture une opportunité pour les stratégies de métropolisation. Elle est en outre présentée comme telle par les acteurs locaux et nationaux. Les grandes villes françaises connaissent donc une dynamique de métropolisation à des degrés très différents les faisant passer du statut de capitale régionale (ville à la tête d'un réseau urbain régionale et faisant sa région) à celui de métropole (membre d'un système urbain suprarégional). Le degré de métropolisation reste très inégal bien que de plus en plus de villes prennent le titre de métropole à des fins de promotion de leur image, de marketing territorial ou afin de valoriser les nouveaux périmètres nés de regroupements intercommunaux.

Il est difficile d'apporter une définition véritable des villes moyennes tant les seuils démographiques varient selon les études (On parle en général d'une aire urbaine variant entre 20 000 et 200 000 habitants). Elles se reconnaissent principalement par leurs fonctions, administratives notamment. Les villes moyennes sont souvent des préfectures ou sous-préfectures de départements (53 des 96 chefs lieux de départements sont des villes moyennes), à l'instar de Blois pour le Loir-et-Cher, offrant des services et infrastructures accessibles à pied. Elles sont aussi vécues comme des villes à taille humaine par ses habitants et ont fait l'objet de politiques particulières de l'Etat (dans les années 1970 politiques des villes moyennes succédant à la celle des métropoles d'équilibre, dans les années 1990 déplacement des antennes universitaires dans les villes moyennes et mise en réseau de ces nouveaux espaces urbains). Leur nombre est bien plus élevé que les métropoles ce qui explique l'importance de leur poids dans l'armature urbaine. Les villes moyennes ont littéralement absorbé la majeure partie de l'exode rurale des années 1960, limitant alors la croissance des grandes villes à cette période. Progressivement, leur rôle dans les mobilités résidentielles s'est complexifié. En effet, mis en réseau avec la métropole, les villes moyennes peuvent soit accroître leur rayonnement en héritant de nouvelles fonctions soit devenir des satellites et des villes dortoirs. Dans les deux cas, ces villes accueillent les nouvelles mobilités, et sont de fait peu à perdre des habitants, court-circuitant ainsi les grandes villes. Celles-ci représentent en effet une forme d'ancrage dans le local garantissant leur attractivité. On peut toutefois constater un fort vieillissement de leur population et un affaiblissement démographique de la commune-centre au profit des couronnes périurbaines. Les dynamiques démographiques restent malgré tout très contrastées selon les régions. Ainsi, les villes moyennes du Bassin Parisien situées à une heure de TGV de la capitale connaissent une forte croissance tandis que dans le Sud-Ouest, en Bretagne et Normandie, se sont les ressortissants de la communauté européenne qui par leur arrivée se font facteur du repeuplement de ces territoires. En outre, bon nombre des villes moyennes sont intégrées à des réseaux de transports permettant des mobilités accrues et des échanges. De véritables conurbations se forment le long des grands axes comme les vallées de la Loire, de la Seine ou encore du Rhône et certains littoraux. Les villes moyennes accueillent alors les travailleurs du monde rural et périurbain, d'autres villes moyennes et de métropoles. Ces nouveaux échanges rendent "de moins en moins pertinente la notion de hiérarchie urbaine" selon Reghezza Zitt, aucune ville ne ressortissant vraiment dominant de ce point de vue.

Le profil des villes moyennes en matière de développement local varie énormément. Pour quelques unes l'économie résidentielle ou les dépenses des résidents dans la ville est une base essentielle de leur économie. Pour d'autres, la spécialisation autour d'activités de production est un vrai fondement de leur économie. Beauvais, Albi et Brive-la-Gaillarde sont autant d'exemples de villes où un réseau dense de petites entreprises avec des bureaux de conseil et de sous-traitants sont au fondement du dynamisme local. Dans le Sud-Est, le tourisme joue le rôle de socle pour l'économie des villes moyennes tandis que dans les préfectures et sous-préfectures, le tertiaire prévaut. Se distinguent alors trois groupes:

 

Classement des villes moyennes en fonction de l'économie

Les villes moyennes indépendantes

Socle économique solide, relativement indépendant des autres territoires et avec une aire urbaine assez vaste et dynamique. Elles se situent principalement dans l'Ouest et Sud-Est français.

Les villes moyennes dépendantes d'une métropole

Dépendantes, elles servent de lieux d'accueil pour les populations ne pouvant accéder à un logement en métropole du fait de la pression foncière. Elles se situent principalement dans le Bassin Parisien et l'aire d'influence lyonnaise.

Les villes moyennes lié aux transformation de l'environnement rural

Elles sont liées positivement ou négativement aux changements de l'environnement rural proche. Elles peuvent ainsi souffrir de la faiblesse d'un environnement économique dans un contexte rural en déprise ou de concurrence des espaces périurbains dont l'autonomie croissante et le dynamisme remet en cause leur centralité initiale.

 

A une échelle plus vaste, on peut donc dire que les villes moyennes jouent véritablement un rôle d'articulation, de "charnière" d'après Reghezza Zitt, sur le territoire français entre les métropoles et l'espace rural: elles accordent d'une part à la population locale (périurbaine et rurale surtout) un meilleur niveau de services et assurent d'autre part le relai de l'influence métropolitaine. Enfin, la régularité du maillage et l'intensité des interactions au sein des réseaux de villes moyennes sont perçues comme un atout majeur du territoire national, étant un facteur de cohésion susceptible de garantir à la population une certaine égalité d'accès aux services disponibles.

 

III) Désurbanisation ou urbanisation totale?

 

Il existe de nombreux clivages entre une vision positive et négative de la ville. En effet, pour certains auteurs, la ville disparaitrait en France. C'est le cas de François Moriconi-Ebrard qui avance la thèse d'une désurbanisation française. Pour le géographe, la situation de la France est originale. Le pays est effectivement d'urbanisation tardive par rapport au reste de l'Europe. Ce n'est véritablement qu'à partir des années 1930 que le nombre de citadins dépasse celui des ruraux dans l'hexagone pour la première fois. De même, l'urbanisation et la hiérarchie urbaine ont largement été déterminées et contrôlées par l'Etat. Ainsi, si l'on regarde de plus près la hausse démographique du XIXème et XXème siècles, plus la ville était haute dans la hiérarchie plus la croissance démographique était rapide. Cette observation s'explique largement par les définitions prises en compte par Marconi-Ebrard de la ville et de la hiérarchie urbaine. Celles-ci placent le seuil démographique de la ville à 10 000 habitants minimum agglomérés dans une tâche urbaine. De même, la hiérarchie des villes changent considérablement car cette dernière les classe selon leur taille et importance fonctionnelle.

 

La hiérarchie urbaine selon François Marconi-Ebrard

La capitale (Paris)

La préfecture

La sous-préfecture

Le chef-lieu de canton

La commune

 

Cette vision du fait urbain français tout à fait singulière est liée au projet e-geopolis. Il s'agit pour le géographe et son équipe d'élaborer des outils permettant de comparer les villes à l'échelle mondiale sans être bloqué par les différents critères de définitions qui varient largement entre les Etats. De fait, cet outil d'étude des villes, à l'origine d'une vision un peu décalé comparé à celle d'une grande partie des géographes, le mène à constater une véritable désurbanisation de la France. En effet, entre 1999 et 2000, la population des villes françaises de plus de 10 000 habitants passe de 64, 2% à 63,2%. Pour Moriconi-Ebrard, cela est synonyme d'une crise de la ville française car leur poids démographique diminue après un demi siècle de renforcement de l'urbanisation ce qui pourrait s'expliquer par un étalement de la population urbaine se faisant toujours plus loin des pôles urbains, au profit de la campagne. Il n'est pas le seul à avancer une thèse de ce type, Choay et d'autres ont aussi avancé l'idée de la mort de la ville. Certains en sont même venus à parler d'"exode urbain". Il s'agit ici d'une vision tout à fait originale du fait urbain français constatant un phénomène de désurbanisation des villes dont le seuil est défini comme supérieur ou égal à 10 000 habitants agglomérés sur une tâche urbaine. C'est dans les années 1990 que Jacques Lévy fait une thèse aux antipodes de celles de Marconi et des tenants de la désurbanisation française. Il constate à partir des définitions admises en France de la ville que l'hexagone atteint un stade d'urbanisation totale et invente le gradient d'urbanité. Ainsi, tout serait plus ou moins urbain mais ne serait pas campagne. Pour expliquer, nous présenterons la ville de Blois, préfecture du département du Loir-et-Cher en région Centre de près de 40 062 habitants, avec ce modèle de gradients. En premier lieu, Lévy place ce qu'il appelle le géotype central soit le centre-ville historique. A Blois, ce premier géotype correspond à la partie la plus ancienne de Blois qui réunit actuellement environ 6 800 habitants autour de la Cathédrale Saint-Nicolas, la Château de Blois où ont logé Louis XII, François Ier et Charles d'Orléans, la gare et la place Louis XII connue pour son marché et la Maison de la Magie qui la surplombe.

Vient ensuite le géotype suburbain qui correspond à la banlieue soit à la couronne entourant la ville-centre et se distinguant principalement par des fonctions résidentielles donnant lieu dans certains cas à de véritables villes-dortoirs. Dans le cas de Blois, on pourrait appliquer le terme à la partie Nord (la "ZUP Nord") et la partie ouest de la ville. En effet, la première partie réunit environ 20 000 habitants dans les quartiers de Croix-Chevalier, Kennedy, Coty, Marcel Doret, Mirabeau, Sarrazines, Villiersfins, Pinçonnière, Dumont d'Urville, Montgolfiers, ainsi que le parc de l'Arrou tandis que la seconde en regroupe plus de 9 800 dans ceux de Grouets, Quinière, Saint-Georges, Foch, Cabochon. On retrouve ici des quartiers principalement résidentiels jouant même le rôle de ville-dortoir comme pour la ZUP Nord.

 

Suit à cela le géotype infra-urbain qui n'est autre que la couronne la plus éloignée de la ville-centre. Il s'agit de l'espace urbain ayant accueillit les fonctions commerciales et industrielles suite à la déconcentration industrielles des villes françaises des années 1960-1970 et de décentralisation à partir des années 1980. Dans le cas de la ville de Blois, cette correspond à la partie Est et Sud, certes peuplées mais en moindre mesure que les deux premiers géotypes (15 900 habitants environ contre près de 29 800 pour les deux premiers géotypes). Elle accueillent en effet tous les grands centres industriels et commerciaux de la villes tels que Auchan (Blois-Vineuil) ou la chocolaterie Poulain. Grâce au cas de Blois, on peut observer que le gradient d'urbanité fonctionne bel et bien car même en tant que ville moyenne, les degrés d'urbanité divergent. Il faut toutefois prendre des distances face aux schémas habituels représentant ces géotypes comme des cercles concentriques car la réalité s'en éloigne largement comme le montre cette étude de cas. A ces quatres géotypes s'ajoute l'infraurbain qui dans le cas de Blois correspondrait à la Sologne. Il s'agit de l'espace le plus loin du centre-ville. Le géotype non-urbain n'est pas issu des travaux de Lévy. Il se déduit cependant logiquement des cinq autres. On peut effectivement se demander quoi faire des espaces ne correspondant à aucune des autres catégories, qui ne sont ni urbain, ni agricole voire autochtones. Mais le Loir-et-Cher étant un département très agricole, il serait difficile d'en déterminer un pour Blois.

On arrive donc à une contradiction entre les tenants de la thèse de la désurbanisation française et ceux de l'urbanisation totale. Tous se basent sur les mêmes données mais les interprètent avec des définitions et des concepts divergents. Pour sortir de cette impasse de raisonnement, il fallait établir un nouveau modèle applicable en France comme dans le monde et dépassant les deux thèses précédentes. C'est que Jacques Lévy fait en inventant les modèles d'Amsterdam et de Johannesburg qu'il expose lors d'un colloque sur les "Villes dans le Monde". Le modèle d'Amsterdam est celui de la ville compact par excellence. Y sont maximalisés l'avantage de concentration, la coprésence ainsi que les interactions entre le plus grand nombre d'opérateurs sociaux possible. La ville type Amsterdam est aussi la ville de la mixité sociologique, de la forte productivité marchande par habitant, de la diversité des activités et des espaces publics. Parce que la concentration y est exacerbée, les métriques pédestres y sont des plus importantes. La ville d'Orléans s'inscrit pleinement dans ce modèle étant une ville où activités économiques, politiques et culturelles sont largement concentrées dans le centre-ville et où priment les métriques pédestres et les transports en commun. A contrario, la ville type Johannesburg est le modèle de la "ville contre la ville" comme le dit Lévy. Elle est la ville étendue et diffuse, où les écarts sont maximalisés et les espaces publics absents. La séparation sous toutes ses formes structure l'espace urbain qui devient au final une véritable mosaïque de quartiers fonctionnellement, ethniquement et sociologiquement homogènes et en partie enclavés. C'est le cas en France de l'Est lyonnais. Il y aurait ainsi deux types de villes qui tendent à se former sur les territoires dans le monde et en France. Ces types sont opposés en tous points mais se multiplieraient largement. Il n'y aurait donc dans cette optique ni désurbanisation ni urbanisation totale mais plutôt l'apparition de nouveaux espaces urbains.

 

 

" AMSTERDAM

JOHANNESBURG

Densité

+

-

Compacité

+

-

Interaccessibilité

des lieux urbains

+

-

Présence d’espaces publics

+

-

Importance

des métriques pédestres

+

-

Coprésence habitat / Emploi

+

-

Diversité des activités

+

-

Mixité sociologique

+

-

Fortes polarités intra-urbaines

+

-

Productivité marchande

par habitant

+

-

Auto-évaluation positive de l’ensemble des lieux urbains

+

-

Autovisibilité et auto-identification

de la société urbaine

+

-

Société politique à l’échelle urbaine

+

-

Tableau récapitulatif des modèles d'Amsterdam et de Johannesburg

https://www.ac-orleans-tours.fr/hist-geo/conferences/blois-mai00/levy.htm


Conclusion

 

Les thèses de la désurbanisation totale ou de l'urbanisation totale ne tiennent donc plus: il faut voir dans l'urbanisme français l'apparition de nouvelles formes d'urbanité. Pour aller plus loin, les mésologues verraient dans ce phénomène un élan des usagers du territoire français à se créer de nouveaux milieux. Le modèle Johannesburg et Amsterdam mettent en effet fin à une contradiction qui était moins liée à une définition de la ville qu'à une question d'échelle d'analyse: Marconi-Ebrard observant les choses d'un point de vue global, et Lévy d'un point de vue régional. Il serait cependant intéressant de voir comment s'applique ces deux modèles dans les territoires d'outre-mer où les phénomènes géographiques sont à la fois singuliers et ré-applicables ailleurs du fait de leur caractère de microcosme. Dans l'optique d'une géographie urbaine globale, cela aurait l'avantage d'apporter de nouveaux exemples et de nouvelles problématiques, et, dans le cadre de la formulation d'une théorie de synthèse, on verrait si la synthèse de Jacques Lévy est vraiment transposable.

 

Dante

Sources internet:

 

https://www.geographie.ens.fr/IMG/file/Memoires_eleves/trouillard.pdf

https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Lussault

https://www.franceculture.fr/blog-globe-2010-03-22-g%C3%A9ographie-%C3%A9lectorale-2nd-tour-des-r%C3%A9gionales-une-question-%C3%A0-jacques-l%C3%A9vy.html

 

Ouvrages spécialisés:

 

-La France dans ses territoires, Magali Reghezza-Zitt (2011), éditions SEDES, licences-masters