La Révolution de l'an Mil est une illusion

29/01/2014 21:12

La Révolution de l'an Mil est une illusion

 

 

Introduction

 

I) Un nouvel ordre politique, économique et social qui se met lentement en place

 

II) Une culture et le modèle occidentale naît et s'étend

 

III) Il y a donc naissance de la civilisation occidentale mais peut-on pour autant parler de révolution?

 

Conclusion

 

 

Introduction

 

Dans les années 1980, Jean-Pierre Polly et Eric Bournazel mènent une recherche concernant ce qui est appelé "la Révolution de l'an Mil". Ce phénomène consisterait en une rupture historique qui aurait marqué la naissance de la civilisation occidentale par une suite de mutations notamment politiques, économiques, sociales, et religieuses. La thèse reste toutefois bancale et est à ce titre l'objet de nombreux débats. En effet, l'an Mil, que l'historien Georges Duby appelle le "printemps du monde", correspond à une période du calendrier chrétien, propre à l'Occident et à l'Europe, et exclue de fait les autres espaces de la planète non concernés par cette "révolution" que les historiens délimitent entre le Xème et XIème siècle. De la même manière, un problème subsiste quant à ces limites géographiques: l'Europe et l'Occident sont des espaces nés de conventions, d'accords et n'ont de fait aucune réalité physique à proprement parler. Ainsi, si l'on fait s'arrêter le continent européen à l'Oural dans sa partie Est, peut-on pour autant placer la Grèce de l'"Empire Romain d'Orient" dans ce continent dont la partie Ouest a gardé la dénomination d'"Occident"? De même, l'usage du terme révolution est largement discutable: doit-on parler d'une seule révolution ou de plusieurs dans le cas de l'an Mil? Il faut aussi se demander s'il y a eu des évolutions structurelles au cours de l'an Mil en Europe et, si oui, si le qualificatif de révolution, qui désigne généralement une rupture profonde, irréversible et rapide, est approprié. Pour le savoir, cette étude sera consacrée dans un premier temps aux changements politiques, économiques et sociaux, puis dans un second temps aux changements culturels et religieux ainsi qu'à la naissance d'un modèle occidental. Enfin, il faudra déterminer si l'analyse permet de voir une ou plusieurs révolutions ou une période de lentes évolutions.

 

I) Un nouvel ordre politique, économique et social qui se met lentement en place

 

L'an Mil se caractérise en premier lieu selon Polly et Bournazel par la naissance d'un nouvel ordre politique, économique et social et ce en trois étapes. La première étape concerne un changement géopolitique majeur: la fin de l'Empire carolingien qui oblige à une réorganisation géopolitique du Nord-Ouest de l'Europe occidentale. Après avoir repris le pouvoir délaissé par les successeurs de Clovis, les mérovingiens, les carolingiens se forgent un Empire puissant grâce à l'action de Pépin de Herstal, Charles Martel, puis Pépin le Bref en 751, en rassemblant les peuples sur lesquels la domination des anciens rois n'était plus d'actualité, et en faisant progressivement de l'Église un appareil de l'État central garantissant une source de légitimité. Il atteint son apogée sous Charlemagne mais meurt progressivement à partir de 814. Cette année, Louis le Pieux succède à l'auteur de l'organisation interne de l'Empire. Souvent dépeint comme un empereur indécis et manipulé par son entourage et par l'Église de plus en plus forte, prenant des décisions conduisant plus souvent à des nouveaux problèmes qu'à des solutions. Commence alors la lente fin de l'œuvre carolingienne. Au cours de la première partie du règne de le Pieux, de nombreuses mesures radicales sont prises. Entre autres, il éloigne les principaux collaborateurs de son père du palais ainsi que son entourage de bons vivants. De même, il contraint ses sœurs célibataires à porter le voile. Sous l'influence de l'abbé d'Aniane Benoît, il donne à la cour et au gouvernement une allure quasi monastique. Il supprime en outre de son titre les fonctions de roi des Francs et de Lombards, pourtant chers à son père, ne conservant alors que celui d'empereur Auguste. A la perte de pouvoir s'ajoute le manque d'argent pour entretenir les soldats. Ceux-ci étaient récompensés par une terre, ou seigneurie, offerte à titre d'usufruit viager, ou droit d'usage et d'habitation à vie, par l'Empereur afin d'éviter les débordements en temps de paix et remédier à un manque d'argent premier empêchant toute rémunération et à des abus commis en temps de paix. Les problèmes financiers s'aggravant, Louis le Pieux se trouve dans l'obligation de donner des terres en pleine propriété et non plus à titre d'usufruit viager. En dernier s'ajoute la tradition franque de partage entre les fils des terres du père qui, avec les problèmes précédents, entraîne le morcellement de l'Empire.

En 840, Lothaire succède à Louis le Pieux. Cependant, ses deux frères cadets, Louis le Germanique et Charles le Chauve, mécontents de pas avoir hérité du trône, s'allient et se liguent contre leur frère et demi-frère aîné. Le nouvel empereur perd la guerre contre ses cadets lors de la bataille de Fontenoy-en-Puissaye l'année suivante. Le 14 février 842, Louis le Germanique et Charles le Chauve consolident leur alliance par le Serment de Strasbourg, événement marquant à la fois dans l'Histoire politique et linguistique. En effet, chacun des deux frères jure fidélité à l'autre devant leurs armées respectives dans la langue romane et germanique. Face aux pressions de cette alliance de plus en plus forte, Lothaire cède et finit par signer avec ses cadets le traité de Verdun en 843 qui partage l'Empire carolingien. Charles le Chauve obtient alors le royaume de Francie occidentale, et Louis la Francie orientale. Quant à Lothaire, son royaume se réduit désormais à la zone intermédiaire entre les deux Francies, appelée Lotharingie. Les deux cadets tentent alors de s'approprier le royaume de leur aîné qui meurt en 855. Son fils Lothaire II lui succède mais meurt quelques années après en 869. Son frère Louis II, trop occupé par la guerre en Bénévent en actuelle en Italie du Sud, il ne peut récupérer l'héritage. Ses oncles se partagent alors la Lotharingie suite au traité de Meersen en 870, laissant alors la partie italienne à Louis II. Deux siècles plus tard, la dynastie des Ottons réussit à réunir la Lotharingie et la Francie orientale, et récupère le titre d'empereur, formant ainsi le Saint-Empire romain germanique. Pendant ce temps, la Francie occidentale se détache et devient progressivement le royaume de France. L'Empire carolingien disparaît alors géopolitiquement du fait de la politique des successeurs de Charlemagne.

Un autre facteur est à prendre en compte dans la disparition de l'Empire carolingien: les grandes invasions. Au cours du IXème et Xème siècle, l'Europe occidentale et l'Empire carolingien pour la première partie de cette période, subissent une triple invasion de peuples d'origines et de cultures complètement différentes: les Vikings originaires de Scandinavie, certains peuples des pays musulmans appelés sous le terme générique de Sarrasins par l'Empire, et les Hongrois peuple de cavaliers d'origines finno-ougriennes. Le phénomène n'est pas négligeable d'autant plus que chacun des envahisseurs a un style de combat différent et relativement novateur, mettant à mal l'armée carolingienne basée sur des corps de cavaliers chargeant accompagnés de fantassins et éventuellement d'arbalétriers, bien que cela était considéré comme un déshonneur. Les vikings étaient des marchands-pirates originaire de Scandinavie. Ils regroupaient au départ des marginaux recherchant d'autres terres où vivre ou des richesses pour s'imposer devant leur peuple politiquement. Mais très vite, ils s'inscrivent dans un mouvement plus organisé du fait des richesses rapportées par les différents raids. S'ensuit alors une vague d'attaques contre les différents royaumes européens et l'Empire carolingien. Leurs bateaux permettant de remonter les fleuves et l'armée carolingienne étant trop longue à convoquer, ils réussissent à piller de nombreux espaces de l'Empire avec une violence ayant nourri de nombreuses légendes. Suite à la mort de Charlemagne en 814, le morcellement de l'Empire s'amplifie jusqu'à sa fin effective. Les vikings en profitent alors pour augmenter le nombre d'attaques. Au Sud de l'Europe, ils entrent en Francie occidentale par la Seine et la Loire et ce sans résistance de la part de l'armée carolingienne, démunie, et attaquent Paris en 886 pour la seconde fois mais sont cette fois-ci repoussés après un long siège grâce au comte Eude, fils du marquis Robert le Fort. Ce dernier avait pris l'initiative de faire bloquer le pont de la Seine afin d'obliger les envahisseurs à accoster et engager un combat terrestre. Le roi arrive donc avec l'armée après la bataille et entame, au grand étonnement de la population, les négociations avec le chef des vikings Rollon. Cet acte largement à l'origine de son discrédit, s'explique par le manque de moyens pour défendre le royaume et l'importance de Paris rendant nécessaire sa protection. Le monarque confie de fait la Normandie dans le but d'empêcher les vikings, si ce n'est d'attaquer le royaume, d'au moins empêcher le pillage de Paris, et l'autorise en outre à piller la Bourgogne afin de calmer l'ardeur de l'équipage: c'est la cession de la basse vallée de la Seine. En 912, Rollon se fait baptiser. Malgré une forte population scandinave, la Normandie devient rapidement une principauté française. Y sont en effet restaurés des monastères et églises ainsi que certaines institutions carolingiennes bien que celles-ci s'effondrent dans le reste du royaume. À cette première vague d'invasions s'ajoutent les vagues hongroises et sarrasines. Les Hongrois étaient un peuple se battant en usant de la cavalerie légère, pouvant alors lutter relativement facilement face à la cavalerie lourde carolingienne du fait d'une plus grande liberté de mouvement. De la Pannonie en Europe de l'Est qu'ils occupent au début du IXème siècle, ils attaquent le royaume de Danemark, de Francie occidentale, la Provence, les Pouilles au Sud-Est de l'Italie et les villes de la région du Rhin supérieur entre 899 et 933, devenant alors la terreur d'Europe centrale et orientale. La protection de la population incombait aux seigneurs locaux jusqu'à ce que les mesures défensives d'Henri Ier de Germanie rendent effective la protection du Saint Empire romain germanique par la création de systèmes de fortifications. Les seigneurs dans ce but faisaient construire des refuges tel que le Chastel de Lostorf. L'ampleur des dégâts causés par les Hongrois est difficile à estimer, ce qui est notamment lié à la tendance des récits ultérieurs à exagérer ces dommages. Les peuples sarrasins, quant à eux, étaient pour la majorité soit des peuples maures soit des peuples berbères d'Afrique du Nord, tous de confession musulmane. Leurs méthodes étaient relativement semblables à celles des vikings et s'étaient particulièrement illustrées dans la conquête du Sud de l'Espagne par les Maures au VIIIème siècle. L'Empire carolingien disparaît alors du fait de ces deux facteurs. S'ensuit une transformation géopolitique de l'Europe qui est alors partagée entre le Saint-Empire romain germanique, le royaume de France et les royaumes alentours.

La naissance du système féodo-vassalique, ou "mutation féodale", est un phénomène étudié par de nombreux historiens et en particulier Mourre, Jean-Pierre Poly et Eric Bournazel. Il marque l'apparition d'une nouvelle organisation interne des royaumes européens qui se met en place pour huit siècles et a participé au morcellement politique de l'Empire carolingien en l'an Mil. Au cours du IXème et Xème siècle, le roi de France et l'empereur germanique se voyaient dépossédés de la plupart de leurs pouvoirs au profit des soldats de l'ancienne armée carolingienne dotés de terres et devenus comtes, ducs, ou prince, que l'on regroupe sous le terme générique de Grands. Au Xème siècle, ce sont deux éléments qui entrent dans le jeu politique infra-étatique des royaumes: les seigneurs ou "sirs" et les châteaux. Les seigneurs étaient des soldats de grands qui ont été récompensés par des terres du fait du manque d'argent. La terre ou seigneurie était donnée suite à un pacte passé avec le Grand qui l'offrait. Le soldat prêtait hommage au prince et lui jurait fidélité, devenant alors son vassal et faisant de ce dernier ce que les historiens appellent le suzerain. Le vassal devait alors le devoir d'Ost, ou l'aide militaire, à son suzerain et sa situation était transmise de père en fils selon la tradition franque de transmission des richesses. Ce système féodo-vassalique ne se limite toutefois pas qu'aux princes et seigneurs. En effet, des vassaux et suzerains existaient aussi parmi les princes et parmi les sirs. De même, une autre classe sociale se forme avec l'apparition de seigneurs dont la puissance atteindrait presque celle des princes: les barons. Au cours de cette période, les sirs ont construit de nombreux châteaux afin d'accroître et asseoir leur pouvoir dans la seigneurie qui leur a été confié et ce parfois au détriment des comtes et ducs dont ils étaient soldats.

Entre le IXème et le XIème siècle, ce sont environ 6 000 châteaux de construits en France. Ceux-ci sont reconstruis en pierre afin de les rendre plus résistants face aux guerres récurrentes entre les sirs et les Grands qui se faisaient concurrence. Ces guerres avaient pour but non pas de tuer mais de permettre la réappropriation de richesses en tout genre et d'étendre l'autorité du seigneur. Elles constituaient néanmoins un motif pour la création, par le biais du système féodo-vassalique, de clans et d'alliances militaires dans lesquelles les femmes devenaient un véritable prix d'échange. Progressivement, une nouvelle société apparaissait au milieu des guerres et pillages intempestifs entre ces clans: la société féodale.

Au cours de l'an Mil, l'Europe connaît ce qui est qualifié par de nombreux historiens de "révolution agricole". Celle-ci se caractérise par un changement considérable des conditions de travail des paysans menant progressivement à la formation de villages, puis des premières grandes villes. Les empires hellénistique, byzantin, romain et arabe reposaient avant l'an Mil sur la domination d'une élite militaire sur un vaste territoire. Cela permettait aux dites élites de développer de puissantes et riches villes au détriment du bien-être des paysans qui étaient le plus souvent asservis à de grandes exploitations gérées par un propriétaire lointain. L'effondrement de l'empire romain d'Occident se solde par la quasi-disparition des villes et exploitations agricoles en Europe de l'Ouest. Les soldats mérovingiens et carolingiens se partagent alors vers l'an Mil les terres et exploitent les paysans. Dans le même temps, les paysans ressortent des forêts où ils s'étaient réfugiés après la destruction des villages romains, probablement du fait d'une certaine stabilité ayant été retrouvée mais aussi d'un désir d'enterrer les morts et de stopper les incinérations contraires aux croyances de l'époque. Ils s'organisent alors en communautés villageoises, dirigées principalement par les hommes et les veuves jouant le rôle de chef de famille, les femmes célibataires restant discrètes du fait des nombreuses rumeurs sur leur compte. Concomitamment, ils forment des villages autour des cimetières et des paroisses qui se multiplient sous l'impulsion des seigneurs qui ont besoin de main d'œuvre pour leurs terres. La majorité des communautés se met ensuite en relation avec les seigneurs locaux afin d'obtenir la protection militaire et des franchises ou des droits comme celui de mariage et l'utilisation des terres et celui de défrichement ce qui implique l'élargissement des droits. À ces droits correspondent des devoirs dont celui de payer la taille, un impôt seigneurial, et la corvée, un travail en plus à faire gratuitement pour rester en paix avec les sirs, voire obtenir d'autres choses. Ces devoirs s'ajoutaient à ceux dus à l'Église et au roi, les franchises qui changent beaucoup de contenu selon les seigneuries n'étaient donc pas signe de meilleures conditions de vie pour les paysans mais plutôt celui d'une très légère amélioration.

A partir de l'an Mil, les seigneurs interviennent directement dans le développement économique des campagnes en investissant dans les fours et les moulins. L'Église se joint à l'effort pour le développement par le biais des moines qui encouragent aux défrichements afin de faire implanter de nouvelles abbayes et monastères. L'historienne Régine Pernoud explique dans son ouvrage Les Saints du Moyen-Age paru en 1984 aux éditions Plon que les moines ont réhabilité le "travail manuel que les Romains avaient abandonné et pour lequel ils n'avaient pas hésité à organiser l'immigration de travailleurs barbares". De même, elle ajoute qu'en faisant cela les moines ont développé l'outillage de manière à "alléger leur peine afin de consacrer plus de temps à la prière". La situation politique relativement calme aide largement au développement économique. Les innovations techniques se multiplient alors et se diffusent rapidement entre les villages grâce à une plus grande sécurité des campagnes, à une plus grande stabilité des communautés paysannes, à l'esprit d'initiative des abbés, et une forte croissance de la population qui, en augmentant les besoins, encourage à la recherche. Parmi ces apports techniques, l'on retrouve la charrue à roue qui facilite le labour des sols lourds au Nord de l'Europe et la technique de l'assolement triennal. Cette technique consistait à diviser la terre cultivée en trois soles: un pour le blé et les céréales d'hiver, un pour les céréales d'été et principalement l'orge et l'avoine, puis un en jachère. Elle permettait de tirer un plus grand profit des terres en alternant la jachère une année sur trois. Après l'an Mil, les moulins se multiplient et les activités textiles et métallurgiques se développent.

La stabilisation de la paysannerie et la multiplication des défrichements, aussi cause d'une forte déforestation, entraînent un excédent de production en céréales, notamment en blé, et en raisins, la vigne étant plus simple d'entretien. Le pain devient alors l'aliment de base des peuples en l'an Mil et le vin, un des produits les plus consommés. Il est alors possible de répondre aux besoins d'une population de plus en plus nombreuses. Se développent dès lors les premières grandes villes, dont très peu reprennent les bases des cités romaines comme Lyon. D'anciens monuments sont en ce but recyclés et réutilisés. En 1200, une centaine de villes de plus de 5 000 habitants sont construites en position de carrefour sur les grands axes de communication et parmi elles, Barcelone. Ce développement s'accélère grâce aux activités commerciales attirant les populations. Ainsi, les familles de marchands et d'entrepreneurs forment la classe bourgeoise. Elles s'associent alors en associations dans le but d'obtenir des chartes ou des actes juridiques signés entre plusieurs acteurs afin de définir des objectifs, voire des moyens communs. Grâce à ce début de capital, la bourgeoisie s'élève financièrement au dessus des paysans. De même, les évêques deviennent très vite les personnages les plus importants des villes, dirigeant le corps ecclésiastique de celles-ci. Enfin, les Grands consolident leur pouvoir en permettant le développement de ces villes sur leurs terres qui leur apportent plus d'argent et ainsi plus de moyens d'agir. Ainsi, suite à une lente évolution politique, économique et sociale, la société féodale se met progressivement en place.

 

II) Une civilisation et un modèle culturel occidentale naissent et s'étendent

 

Plus qu'une société, c'est une véritable civilisation et un modèle culturel qui naît en l'an Mil, et ce notamment par la grande place qu'occupe petit à petit l'Église catholique dans la pensée et sur la scène politique de l'Occident. L'an Mil est l'époque de l'apparition d'un peuple de croyants, manifestant aux côtés des religieux lors des mouvements de la Paix de Dieu et se singularisant par le désir d'une Église sainte qui réponde aux critères admis et compris par les fidèles. La dissolution de l'Empire carolingien au IXème siècle, accompagnée par la naissance du système féodo-vassalique, se caractérise par la montée des sévices commis par les Grands qui tentent d'imposer à la paysannerie et au clergé leur protection en échange de revenus ou se livrent à des guerres privées, causant alors de nombreux dégâts collatéraux. A l'approche de l'an Mil, les religieux acquièrent une grande autorité spirituelle dans les villes. S'inspirant alors des actions menées et des décisions prises sous les carolingiens, notamment le capitulaire de 884 par lequel le roi Carloman alourdit les sanctions contre les vols et pillages et demande aux évêques de les réprimer, ou le concile de Trosly de 909 qui exhorte à la pénitence et au recours à l'anathème ou l'excommunication majeure prononcée contre les hérétiques et « ennemis » de l'Eglise, les autorités religieuses imposent la Paix de Dieu. Évêques et abbés réunissent dès lors des conciles condamnant les débordements des chevaliers et tentant de moraliser leur conduite. Bien que d'autres conciles aient été tenus auparavant, le concile de Charroux à Poitou le 1er juin 989 marque véritablement le commencement du mouvement pour la Paix de Dieu. Les décisions sont désormais consignées dans des canons de plus en plus élaborés et donnent réellement la forme de conciles à ces assemblées. D'autres suivent notamment le Concile du Puy à Saint-Paulien vers 993-994, à Limoge en 998 et à Poitiers vers 1010. Il s'agit d'un mouvement initié par l'Église là où elle devait protéger ses structures des Grands.

Au cours de ces conciles, la foule des croyants a fait son apparition. Ceux-ci se déroulaient dans des lieux, choisis à l'avance par le corps ecclésiastique, en plein air et étaient placés sous la protection d'un saint local. Elles rassemblaient le clergé de la ville, la population nombreuse et des « milites », ou Grands qui ont été brutaux et menaçaient à la fois le peuple inerme et les structures de l'Église. Les cortèges religieux se déplaçaient avec sur des charrettes les trésors du clergé et en particulier les reliques de saints. Les « milites » convoqués se trouvaient alors encerclés par les religieux et la foule qui le sommaient de jurer de renoncer à la violence sous peine d'excommunication et sous la menace du pouvoir des reliques tenues par les prêtres. Ces derniers secouaient ces dernières dans tous les sens et feignaient la transe afin de rendre la menace plus réaliste aux yeux du seigneur brutal et du peuple. Le seigneur convoqué jurait alors sous la pression de la foule de cesser ses agissements, du moins sur le moment. De fait, le mouvement menaçait largement les puissants qui se voyaient en position de faiblesse face au peuple et au clergé. Le roi de France et d'Angleterre, bien que faisant partie des plus menacés car sensé détenir l'autorité, ne s'y opposait toutefois pas. Il y a alors changement interne du régime sans renversement. Le mouvement se développe autour de l'église de Cluny vers 1016 et se propage dans des régions de l'Europe comme l'Auvergne en 1020 et la Bourgogne en 1021. La Trêve de Dieu est décidée vers ces mêmes années1020 et donne au mouvement son aspect civil. En 1027, l'évêque catalan de Vich, très lié à l'Église de Cluny Oliva de Besalù lance la Trêve avec le Synode d'Elne ou concile de Toulouge. L'idée est relancée par son diocèse en 1033 avec le synode de Vich. Il est relayé dans les années 1030 et 1040 par Cluny. Le but est désormais de limiter la violence des seigneurs par des interdits afin d'avoir autre chose qu'une simple promesse comme gage de sécurité. Ainsi, l'Église interdit l'usage des armes aux jours anniversaires de la Passion du Christ, soit du lundi au mercredi du calendrier julien. Elle tente ensuite de rendre religieuse la cérémonie de l'adoubement des chevaliers: l'épée que recevaient les jeunes chevaliers étant désormais bénie, elle ne pouvait servir contre des chrétiens. De même, des croisades pour « libérer » Jérusalem sont organisées et permettent avec la « Reconquista » du Sud de la péninsule ibérique de canaliser la violence des chevaliers. L'idéal du chevalier soldat du Christ se met alors en place. Progressivement se dessinent les fondements des trois ordres de la société médiévale. Dans un poème adressé au roi Robert le Pieux, l'évêque Adalbéron de Laon définit trois ordres dans la société: les « laboratores » travaillant à la fonction nourricière, les « bellatores » chargés de la défense et les « oratores » priant pour le salut des Hommes.

L'an Mil marque l'apparition d'un peuple croyant, se déplaçant et agissant par foi comme le montre le mouvement de la Paix de Dieu. Cependant, les masses de fidèles se mobilisent pour la pacification des seigneurs mais aussi pour la sanctification de l'Église. Le peuple veut une Église en laquelle il peut avoir confiance. Pour ce faire, il faut à celle-ci répondre à l'idéal chrétien des fidèles. Or, cet idéal ne correspond pas forcément à celui de la Bible du fait de l'analphabétisme, et de la main mise des prêtres sur les textes considérés comme sacrés, et encore moins au mode de vie des religieux au début de l'an Mil. En effet, la plupart des évêques étaient des amis des seigneurs placés par les jeux de la simonie, ou des nicolaïtes soit des prêtres vivant avec des femmes. Or, le prêtre selon les fidèles devait être pauvre, s'alimenter de manière juste en renonçant à la viande et au vin, et surtout se priver de sexe, donc soit être vierge, ce qui était valorisé, soit abstinent. Les masses de croyants se réunissaient alors afin de les convertir dans des mouvement dont l'importance était semblable à ceux de la Paix de Dieu, si ce n'est que les femmes et les enfants éventuels des nicolaïtes étaient chassés. Ces manifestations étaient plus ou moins efficaces. Ce désir de sanctification était dû en réalité à une forte conviction de l'efficacité des Saints et, par extrapolation, en celle des reliques. Cela se traduit notamment par l'apparition de nombreux Saints vers l'an Mil, la canonisation étant moins décidée par le Vatican que par la clameur du peuple. Il y a donc naissance du peuple chrétien au cours de l'an Mil et le commencement d'une réforme sociale fondant les trois ordres connus: Tiers-État, clergé, et noblesse. En outre, la religion chrétienne s'ancre pour le long terme dans la culture occidentale.

Au cours de l'an Mil naît aussi l'État de l'Église. L'Église tente effectivement de se sanctifier et, surtout, de prendre son indépendance face aux gouvernements et en particulier le Saint-Empire romain germanique des Ottons qui souhaite en refaire une institution de l'Empire à l'instar des carolingiens. La première étape de cette prise d'indépendance commence à Cluny en Bourgogne au cours de l'année 910. Cette année, le comte Guillaume d'Aquitaine offre des terres aux moines de Benoît, pas encore canonisé à l'époque. Ces derniers fondent alors la plus grande église d'Europe, et la communauté bénédictine obéissant aux trois règles de Saint Benoît: silence, prière et travail. La prière étant l'activité principale des prêtres, l'église était le lieu d'une messe continuelle, ce qui était nouveau et unique en Europe. Cela donnait de fait un aspect magique aux yeux des fidèles, la messe reproduisant presque la vision théologique du paradis: un lieu où les âmes vont pour prier et admirer Dieu. L'église de Cluny devient alors très vite un modèle de l'église aux yeux des chrétiens et du clergé: les prêtres clunisiens obéissent à la règle bénédictine et vivent pauvrement même si l'église même touche des impôts. De même, Cluny n'est pas soumise à la simonie. Lors de sa fondation, Guillaume d'Aquitaine offre les terres aux bénédictins. L'église ne peut donc se faire racheter. Il ne s'en fait donc pas un propriétaire indirect en laissant le pape de Rome nommer les prêtres qu'il souhaite, contrairement aux autres seigneurs de son temps. L'intérêt était double pour le comte: d'une part la simonie choquait les croyants, et d'autre part, faire des dons à l'Église permettait de se faire « bienfaiteur ». Ce dernier argument n'était pas négligeable. En effet, la prière des religieux est considérée comme plus efficace que celle du commun des mortels pêcheurs. Le bienfaiteur faisait alors des dons afin d'être inscrit sur l'obituaire de l'église, soit un livre où sont inscrits les noms des bienfaiteurs pour qui une prière particulière est accordée. Le comte, comme de nombreux seigneurs par la suite, s'assure ainsi une place au paradis. Cluny, qui se développe énormément grâce à ce système, devient très vite le centre de l'ordre bénédictin qui s'étend au niveau européen du fait de cette position de modèle. L'Église obtient ainsi une première forme d'indépendance grâce à ce nouveau centre religieux ce qui devient problématique pour les seigneurs qui voient leur autorité diminuée. Ce sont effectivement près de 1000 monastères bénédictins qui sont construits vers l'an Mil.

Le Saint-Empire romain germanique naît en 962 grâce à Ottons Ier qui réussit à réunir la Lotharingie et la Francie orientale, formant alors le premier Reich. Celui-ci et ses successeurs se donnent pour projet de recouvrer la puissance des carolingiens et échapper à la division du pouvoir. Dans ce but, la dynastie des Ottons tente de faire de l'Église une institution de l'Empire. Ainsi, les empereurs se font sacrer à Rome et y font des voyages réguliers afin de se faire obéir des papes. Un problème subsiste toutefois: les papes sont à l'époque issus de l'aristocratie romaine et placés suite à de véritables guerres sous-jacentes, faites de complots, d'assassinats et de manipulations, à la tête de l'Église de Rome. Or, l'empereur germanique tente lui aussi de placer un pape serviable à Rome. Il y a alors triple conflit autour d'un même poste en l'an Mil. En 963, Otton Ier tente de placer à deux reprises, par ruse, un pape servant l'Empire. Le premier trahit l'empereur et le second est chassé par l'aristocratie italienne. L'empereur germanique finit par tuer tour à tour tous les papes qu'il n'a pas choisis. Otton III, plus civilisé que ses prédécesseurs, nomme directement les papes sans manipulation et place ainsi son précepteur Gerbère d'Orillac qui devient le pape Silvestre II en 999.

La simonie est ce qui pose problème aux réformateurs de l'Église. En l'an Mil, les évêques et le curé sont élus par le seigneur qui fonde la paroisse. Ce fonctionnement peu conforme à l'idéal chrétien de l'époque conduit à une compétition politique entre les seigneurs mêlant les affaires religieuses. Cluny se place ainsi du côté des réformateurs de l'Église en se libérant de la simonie. Entre les années 1050 et 1070, l'Église atteint son troisième stade d'émancipation grâce à la réforme grégorienne. Si les historiens admettent que le « redressement » de l'Église commence avec le pape Louis IX, le pape Grégoire VII reste celui qui a laissé son nom à cette politique menée sous l'impulsion de la papauté. Il faut toutefois voir en l'an Mil le point de départ d'une réforme qui s'étend sur trois siècles. Cette réforme, mise en forme dans les dictatus papae de Grégoire VII en 1075, comporte trois projets principaux. En premier lieu, il vise l'affirmation de l'indépendance du clergé face au pouvoir politique, quel qu'il soit, en second lieu, la sanctification de l'Église, dont Cluny s'est faite le précurseur, et enfin l'affirmation du pape comme seul représentant de Dieu sur terre. En ce but, une structure centralisée autour de la papauté se met en place progressivement à partir du XIème siècle. En 1054, un schisme s'opère entre l'Eglise de Rome et l'Eglise de Constantinople: désormais deux christianismes concurrents et opposés dans leurs conceptions coexistent sur un même continent. En 1059, le pape Nicolas II crée le collège des cardinaux chargé d'élire le pape. De même se développe la curie pontificale qui contrôle les activités de l'Église. Enfin, le pape multiplie les interventions pontificales telle que l'interdiction du nicolaïsme et de la simonie matérialisée par le Décret de 1059 qui réforme également l'élection pontificale. Ceci ne se fait pas sans conflit avec les gouvernements et en particulier l'empereur germanique qui se disait lui aussi représentant de Dieu sur terre car choisi par ce dernier au même titre que Charlemagne et Clovis avant lui. L'an Mil est donc non seulement l'époque de l'apparition du peuple chrétien mais aussi le point de départ d'une réforme interne de l'Église l'amenant à son indépendance des pouvoirs politiques et ce non pas sans difficultés.

L'an Mil est certes l'âge d'un renouveau sur le plan religieux mais aussi sur le plan de l'art. En effet, apparaît à cette période ce qui est appelé depuis le XIXème siècle l'art roman constituant alors le premier art typiquement occidental. L'historien allemand des arts Nikolaus Pevsner distingue deux âges de l'art roman. Un premier qui commence aux alentours de l'an Mil et s'étend vers l'année 1060-70, année de la première croisade. Il se développe tout d'abord en Italie, dans la région de Côme, et en Espagne, en Catalogne et en Aragon vers 950. Les déplacements récurrents des « maestri cominici », une corporation itinérante de maçons, et des Lombards, peuple d'Italie originaire de Scandinavie méridionale, exportent alors ce nouveau style artistique dans toute l'Europe, atteignant la Saxe et la Scandinavie. Le second concerne plus particulièrement la France entre les années 1060-1070 et 1130, succédé alors par l'art gothique qui en constitue plus une nouvelle évolution qu'une rupture dans l'art occidental. Au début du XIème siècle, le chroniqueur français Raoul Glaber avait noté une fièvre de construction en Occident. Selon lui, « c'était comme si le monde lui-même s'était secoué et, dépouillant sa vétusté, avait revêtu de toutes parts une blanche robe d'églises ». En effet, l'évolution de la croyance chrétienne et de l'Église a amené à construire de nombreux édifices religieux au cours de l'an Mil et ce avec de nouvelles techniques architecturales. Lors du premier âge roman, l'architecture se caractérise particulièrement par l'importance de la crypte, les premières voûtes, les chevets de plein-cintre ou en berceau ornés de petits arcs et de bandeaux géométriquement disposés, des temples couverts et terminés en voûte en cul de four, l'usage de piliers comme sustentation à la place des colonnes, et des nefs plus vastes et importantes. À cela s'ajoute la présence des premiers déambulatoires comme à Saint-Etienne de Vérone ou à la cathédrale d'Ivrée. Lors du second âge roman, les nefs augmentent encore de taille afin d'accueillir des pèlerins toujours plus nombreux. Le phénomène est frappant en Bourgogne où les églises abbatiales de Pontigny, de Saint-Bénigne de Dijon et de Cluny III atteignent les 100 mètres. De même, les églises gagnent en hauteur comme le montre la basilique de Saint-Sernin à Toulouse qui mesure 64 mètres. De même, les murs sont désormais renforcés par des contreforts massifs et les recherches sur le voûtement progressent: la voûte à charpente est remplacée par la pierre dans les grands édifices et dans le Sud-Ouest de la France et en Auvergne, on utilise la coupole. Enfin, le culte des Saints entraîne un fort développement de la sculpture monumentale et en ronde-bosse. Les églises romanes étaient au départ entièrement peintes. Les motifs ont toutefois mal résisté au temps, aux badigeonnages du XVIIIème siècle, et aux restaurations intempestives du XIXème siècle. Les œuvres des artistes-artisans de l'époque, la dénomination choisie ici étant due au fait qu'ils obéissaient à une demande de l'Église et ne signant pas leurs créations comme des ouvriers, avaient pour point commun de traiter des thèmes bibliques en usant des tons généralement rouges, jaunes éteints et ocres, gris aux reflets verts, ou bleus foncés. A ce renouveau de l'art, l'on pourrait ajouter l'exemple des tapisseries qui connaissent aussi un certaine essor. Il y a donc une évolution artistique directement liée à celle du fait religieux en Europe de l'Ouest, dernière brique de l'édifice Occident.

L'évolution du fait religieux, de la politique et de la société aboutit à la naissance du modèle dit occidental. Celui-ci s'étend alors à cause de la recherche d'un nouveau fonctionnement politique des peuples envahisseurs vaincus et de l'action du Saint-Empire romain germanique à l'Est de l'Europe. Vers l'an Mil, tous les anciens envahisseurs sont vaincus et doivent se livrer à une véritable reconversion politique, le pillage autour duquel s'étaient organisées leurs sociétés ne pouvant plus être une source de richesse pour ces peuples. Ils adoptent alors des systèmes semblables au modèle occidental. Ainsi de nouveaux royaumes apparaissent. Le royaume de Hongrie naît en l'an 1000 sous le règne du roi Etienne. Celui de Suède naît en 1008 sous le règne de Olaf Ier. Le royaume de Russie naît en 988 à Kiev, sous le règne de Vladimir, qui fait suite à l'œuvre du peuple Varègues, seul peuple scandinave à avoir migré vers l'Est. Ces rois, dont l'autorité est largement contesté par les chefs voulant reprendre les activités d'antan et les populations dominées, s'affirment en faisant construire les villages autour des camps des pilleurs. Ceux-ci constituent de véritables seigneuries dans lesquelles les esclaves, devenus serfs, travaillent pour le maintien de l'État et peuvent désormais fonder des familles. Contrairement à l'Occident, les rois font installer eux-même des paroisses et des églises, adoptant un christianisme soit romain comme en Scandinavie, en Islande, ou en Hongrie où les rois se font pour la plupart sacrer à Rome, soit byzantin comme en Russie. Le second facteur de cette occidentalisation est l'action du Saint-Empire romain germanique dans les pays de l'Est de l'Europe. En effet, vers la fin du Xème siècle, l'empereur Otton Ier lance le « Drang Nach Osten » ou la « marche vers l'Est ». Déjà entamée sous les carolingiens, cette « marche » consiste en une vague colonisatrice ici en provenance de l'empire germanique se dirigeant vers l'Est. Elle s'accompagne par une christianisation forcée, pouvant conduire à une violence extrême à l'instar de ce que faisait Charlemagne lorsqu'il repoussait les limites de son empire dans ces espaces. Elle se trouve toutefois bloquée par de nombreuses révoltes et la résistance des populations qui ont trouvé de l'aide du côté de Byzance. L'Europe s'occidentalise donc en grande partie au cours de l'an Mil: une civilisation naît. Il y a donc bel et bien un changement important avec les siècles précédents.

 

III) Il y a donc naissance de la civilisation occidentale mais peut-on pour autant parler de révolution?

 

Il faut toutefois s'interroger sur l'appellation de révolution. En effet, ce terme, utilisé sans cesse par Mourre, Polly, Bournazel et d'autres médiévistes, prête à de nombreux débats depuis les années 1990, notamment grâce aux découvertes de l'historien Barthélemy qui remettent en cause son usage dans le cas de l'an Mil. Avant de parler de révolution, il faut passer par une opération d'analyse et de définition des concepts. Maurice Flory reprend dans le volume 5, le concept de révolution au Maroc, de la revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, paru en 1968 le Larousse et définit la révolution comme "une transformation en profondeur du système politique, un bouleversement essentiel et irréversible". La révolution se distingue de fait de la révolte, de la réforme, de l'insurrection et du coup d'État, qui sont aussi d'autres moyens de s'élever contre un régime en place, dans le sensla révolution implique l'instauration irréversible et pas nécessairement violente d'un ordre nouveau. Il faut y ajouter une autre caractéristique dont Barthélemy tient compte dans sa remise en cause: la révolution est un changement brutal, profond et rapide. En effet, une révolution se distingue d'une période de changements ou d'évolutions par sa durée dans le temps.

Il en va de même pour la « Révolution de l'an Mil ». En effet, celle-ci s'étend sur une période bien longue pour une véritable révolution: environ 116 ans. L'évolution géopolitique s'étend de 870, année du Traité de Meersen et de la fin de l'Empire carolingien, jusqu'au début du XIème siècle, période de l'expansion de la civilisation occidentale. L'évolution sociale commence, quant à elle, vers l'an Mil et continue même après le XIème siècle et il en est de même pour l'évolution artistique. Ainsi, les évolutions de l'an Mil sont bien profondes mais trop longues pour être qualifiées de « révolution » argument que le médiéviste Barthélemy défend dans son ouvrage La mutation de l'an mil a-t-elle eu lieu ? Servage et chevalerie dans la France des Xe et XIe siècles édité chez Fayard en 1997. Une révolution suppose l'instauration d'un ordre nouveau. Or, s'il y a changement de certains aspects de l'Europe sur le plan politique, économique et social, des continuités restent à noter. En effet, malgré la disparition de l'Empire carolingien, le système impérial perdure avec le Saint-Empire romain germanique et les rois restent au pouvoir. De même, les seigneurs et chevaliers qui commencent à apparaître sous les carolingiens ne font qu'augmenter leur influence et leur pouvoir au cours de l'an Mil. Enfin, la révolution agricole et urbaine ne constitue qu'une étape dans l'évolution de l'agriculture et des villes, évolution qui continue après le XIème siècle, les innovations techniques n'ayant de cesse de continuer et les villes de grossir. Le terme révolution, au singulier comme au pluriel, n'est donc pas approprié pour qualifier les changements de l'an Mil. Il faut, plus qu'une révolution, y voir une période de mutations importantes au niveau géopolitique, économique, social, et culturel.

 

Conclusion

 

L'an Mil est donc bel et bien une époque de changements structurels importants en matière de géopolitique, d'économie, de société, de culture et de religion. Apparaissent à cette période la foule des fidèles, un nouvel art et une Église en quête d'indépendance face au fait politique. De même, les innovations techniques et la fin de l'Empire carolingien entraînent les débuts d'un développement de l'agriculture et des villes. La civilisation occidentale naît donc en l'an Mil. Il faut toutefois préférer au terme de révolution, pluriel ou singulier selon les lectures, la notion de période de mutations profondes du fait de la lenteur de ces changements et des continuités qui peuvent être remarquées. Cette remise en cause de la révolution appelle cependant à un autre problème de science politique et historique: y a-t-il déjà eu des révolutions proprement dites? En effet, lorsque que l'on regarde la Révolution française, pourtant une période marquante dans l'Histoire des idées et l'Histoire de la politique, les continuités peuvent se repérer tels que le découpage administratif en cantons par exemple ou encore l'usage de la terreur pour faire plier l'opposition. Il en va de même pour beaucoup d'autres événements aujourd'hui considérés comme emblématiques par les sociétés actuelles.

 

Dante

Sources

Sitographie:

https://fr.wikipedia.org/wiki/Art_roman

https://www.art-roman.net/

https://www.rmn.fr/francais/decouvrir-l-histoire-de-l-art/par-periode/L-art-roman

https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9forme_gr%C3%A9gorienne

https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9forme_gr%C3%A9gorienne

https://fr.wikipedia.org/wiki/Tr%C3%AAve_de_Dieu

www.euratlas.com

https://www.herodote.net/histoire/synthese.php?ID=144

https://www.historiasiglo20.org/MEC-BC/2-6-1.htm

https://his.nicolas.free.fr/Panorama/PagePanorama.php?mnemo=EmpireCarolingien

https://fr.wikipedia.org/wiki/Empire_carolingien

https://www.intellego.fr/soutien-scolaire-5eme/aide-scolaire-histoire/organisation-et-fin-de-l-empire-carolingien/997

https://www.kidadoweb.com/encyclopedie-enfants/?p=27

https://juliendaget.perso.sfr.fr/Clem/5202caro.html

https://www.histoiredefrance.net/biographie-de-louis-le-pieux-ou-le-debonnaire-p67.html

https://www.histoire-france.net/moyen/guerre.html

https://herodote.net/histoire/evenement.php?jour=7930608

https://www.memo.fr/dossier.asp?ID=83

https://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F8722.php

https://fr.wikipedia.org/wiki/Sarrasins

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Pierre_Poly

https://fr.wikipedia.org/wiki/Dominique_Barth%C3%A9lemy

https://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1983_num_200_2_4526

 

Ouvrage spécialisé:

Histoire du monde, Aux temps des carolingiens de 732 à 1096 (1995) Larousse