La vérité: illusion, absolue ou relative?

18/09/2014 23:27

 

La vérité: illusion, absolue ou relative?

Introduction

I) La quête de vérité et d'une connaissance certaine: une question ancienne

II) Le constat des sceptique

III) De la vérité absolue à la vérité relative

Conclusion

 

"Je sais que je ne sais rien". Cette phrase attribué à Socrate par Platon est le premier stade par lequel le sage doit passer pour exercer la force de son esprit. Avant de vouloir ou prétendre connaître, c'est-à-dire se former dans l'esprit l'idée vraie d'une chose réelle, il est nécessaire de constater ce que l'on sait déjà: rien. Cette ignorance est à la base de l'étonnement caractéristique du questionnement: il faut ignorer la chose pour s'interroger sur elle. Ainsi, pour connaître le monde, l'humain et la réalité, il importe de reconnaître une ignorance originelle afin de se poser des questions sensées et non des stratagèmes pour amener à des savoirs pré-établis par des interrogations feintes. Socrate se fait ainsi sage en avouant son ignorance avant d'établir un savoir quelconque. Pour autant peut-on être sûr que cette connaissance acquise est certaine?

 

I) La quête de vérité et d'une connaissance certaine: une question ancienne

 

Ce souci de la connaissance certaine est un problème ancien en philosophie. Déjà Aristote fondait une logique formelle qui a perduré jusqu'à l'époque moderne en Occident afin d'assurer de la justesse de ses raisonnements. Au XVIIème siècle, Descartes était parvenu à fonder un nouvelle métaphysique basée sur la subjectivité en instaurant le doute méthodique: douter de l'évidence pour construire un savoir neuf. Le fondement du "cogito" qui lui permet de démontrer l'existence de l'esprit et de Dieu l'illustre parfaitement. Dans l'objectif de trouver une connaissance certaine, Descartes se donne pour règle d'éliminer toute chose pouvant susciter le doute. Ainsi, force est de constater que les religions, les opinions et les jugements préétablis sont à laisser de côté par définition. Il en va de même pour les perceptions qui varient selon l'individu. Il pose alors l'hypothèse qu'un dieu trompeur est fait de telle sorte que nous nous trompions dans chacune de nos perceptions et soi-disant connaissance. Il apparaitrait alors que le monde et nous même soyons douteux. Pour autant, il faut quelqu'un pour pouvoir douter. De fait, seul l'esprit resterait et le doute cartésien ramènerait le monde à notre subjectivité. D'où le sens de la formule "je pense donc je suis": si tout est douteux alors rien n'existe mais je pense et pour penser il faut que j'existe. Cependant, si je suis parce que je pense, il n'empêche que je reste un être fini, un étant, qui est né et voué à disparaître un jour. Or, si je suis fini, il me faut être englobé dans quelque chose d'infini et de global. Descartes en déduit directement que rien n'est plus global que Dieu vu qu'il est l'être infini existant nécessairement.

Baruch Spinoza allait plus loin encore en fondant une nouvelle méthode dans son Traité sur la Réforme de l'Entendement devant partir d'idées complètes, axiomes ou idées se justifiant par elles-mêmes puis le calcul par déduction d'idées adéquates par propositions selon l'ordre géométrique. Spinoza conseille de partir de la pure évidence et de former des idées complètes ou axiomes, soit des idées contenant leur propre justification et donc ne nécessitant aucune preuve. Il s'agit de jugement qui s'impose à l'esprit de sorte qu'on ne peut penser autrement ce qui est jugé. Prenons pour exemple l'axiome II du deuxième livre de l'Éthique: "L'Homme pense". L'idée en soi contient sa propre justification puisque le contraire est entièrement absurde: affirmer que l'Homme ne pense pas, c'est affirmer en tant qu'être humain la pensée que l'Homme ne pense pas. Il n'y a donc aucunement besoin de preuve extérieure pour montrer que cela est un syllogisme flagrant. Partir de tels idées permet d'échapper à la régression à l'infini, les idées complètes se prouvant par elle-même, et d'avoir un fond de certitude dans la quête de vérité en partant des réelles évidences. Il suffira ensuite de combiner ces évidences entre elles pour en tirer de nouvelles propositions qui seront des évidences secondaires. Mais, je ne peux être sûr que mon idée, même réellement évidente, corresponde à la réalité à laquelle je n'accède que par le biais de la perception sensible qui n'est pas la réalité elle-même. Il me faut donc, en plus de trouver des idées complètes, trouver des idées adéquates, afin d'être sûr que l'idée certaine est une idée vraie. Une idée adéquate est "une idée qui, considérée en soi et sans regard à son objet, a toutes les propriétés d'une idée vraie" (Éthique II Démonstration 4).

Soit l'affirmation "tous les corps sont soit en mouvement, soit au repos". Si on se limitait à la perception sensible, on ne pourrait jamais être certain de la validité de la proposition, car on ne peut connaitre tous les corps. Mais il s'agit toutefois d'une idée adéquate car elle est unique et nécessaire: il n'y a pas d'autre façon de concevoir des corps autres que le mouvement et le repos, ou qui ne s'y ramène pas d'une façon ou d'une autre. Cette affirmation est claire et distincte parce qu'on ne peut la confondre avec une autre affirmation puisqu'elle est la seule possible. En outre, cette idée se suffit à elle-même, elle est complète puisqu'il n'y a pas d'autre façon de concevoir l'état des corps. Cette idée adéquate a donc toutes les propriétés de ce que serait une idée vraie sur l'état possible des corps: elle donc conforme aux propriétés d'une idée vraie et à la réalité même. La vérité est donc accessible par le biais des idées adéquates, qui peuvent constituer les premières bases suffisantes et certains de nos raisonnements et permettre de connaître la réalité non pas exactement telle qu'elle est en elle-même mais telle qu'elle doit nécessairement être.

 

II) Le constat des sceptique

 

Cependant, la succession de ces méthodes montrent par l'Histoire que les pièges dénoncés par les sceptiques n'ont jamais été totalement dépassé. Ce rêve de connaissance certaine a en effet été largement dénoncé par les sceptiques et en particulier les pyrrhoniens qui se donnait pour but de démontrait l'inaccessibilité de la vérité et ses causes. Parmi les causes analysées, deux suscitent particulièrement l'attention ici: l'insuffisance des sens et des préjugés et le problème de la régression à l'infini. Le premier argument concerne l'insuffisance des sens et des jugements pré-conçus et, bien que repris du courant sceptique, est très bien résumé dans le doute cartésien. Parmi les connaissances que nous avons dans notre esprit, on peut distinguer celles que nous avons reçues dès le plus jeune âge et celle que l'on apprend dans les livres ou par des maîtres: les deux forment ce qu'on appellent les préjugés qui, selon Descartes, nous empêchent de bien juger: rester avec les préjugés c'est demeurer prisonnier des erreurs dont ils sont porteurs. Ainsi, l'individu qui a appris très jeune que le Noir était un être inférieur se sentira faussement supérieur en Côte d'Ivoire. Le préjugés n'est donc pas une source de certitude. Il en va de même pour les sens. Les sceptiques puis Descartes ont formulé ce deuxième argument: nous ne savons pas si les sens qui servent de fondement à nos connaissances ne nous trompent pas chaque fois que nous nous y fions, comme c'est le cas lorsque nous sommes en présence d'un mirage.

Les connaissances, en tant qu'elles sont fondées sur les sens, sont donc toujours douteuses. En outre, les sens nous donnent un accès à la réalité, mais ce n'est jamais directement la réalité que nous connaissons par leur moyen, c'est notre perception de la réalité. Aussi, chacun a une perception propre du réel. Si la définition classique de la vérité est donc l'accord entre notre intelligence et la réalité alors les sens ne suffisent pas car ils n'offrent pas l'accès à la réalité elle-même. L'autre problème qu'avance les sceptiques est celui de la régression à l'infini. Si les sens et les préjugés ne permettent pas l'accès à la vérité, il faut compter sur le raisonnement et la démonstration par proposition logique. Une fois une proposition prouvée, la vérité de cette proposition serait établie. Je prouve par exemple que Socrate est mortel parce qu'il est un Homme et que tout Homme est mortel. Mais pour que la démonstration soit juste, il importe que ses prémisses soient prouvés. Or, rien ne prouve que Socrate est bien un Homme et que tous les Hommes sont bel et bien mortels. Il faut donc une preuve de la preuve, puis une preuve de la preuve et ce à l'infini. Toute preuve exige une preuve antérieure, d'où la régression infinie. Aucune preuve ne peut donc être établie de manière sûre. Ainsi, la vérité absolument certaine apparaît comme inaccessible. L'argument cloue la critique à la fois les principes de l'empirisme et du matérialisme et ceux de l'idéalisme et du rationalisme. Pour autant, est-il pertinent d'affirmer comme les sceptiques qu'aucune vérité est accessible et, par là, que nulle connaissance ne peut être certaine? En élevant le doute comme unique certitude tout en démontrant qu'aucune certitude est possible, le doute lui-même devient douteux. Aussi, s'il y a bel est bien des pièges dans les sens, les préjugés et la logique, il est insensé de dire qu'aucune connaissance certaine est possible.

 

III) De la vérité absolue à la vérité relative

 

La vérité en soi comme elle est souhaitée dans son acceptation métaphysique s'avère donc être une pure illusion du fait de la définition du concept de vérité. La vérité est dans la définition de Saint-Thomas d'Aquin est l'accord de l'idée avec l'objet de cette idée. Cet accord donne un jugement. Ainsi, à chaque jugement vrai correspond une vérité. Le contraire serait absurde puisque si aucune vérité n'émanait d'un jugement vrai ou valide, alors ce même jugement ne saurait être valide. De fait, lorsque j'affirme que "l'Homme pense", il y a là un jugement vrai car dire le contraire signifierait que que j'affirme en tant qu'Homme qui pense que l'Homme ne pense pas ce qui est absurde. De ce jugement valide correspond une vérité soit un accord entre mon idée que tout Homme pense et la réalité de mon objet qui est l'Homme pensant. En revanche, si je dis que "le silence est assourdissant", je fais là un jugement invalide, une erreur. La raison est simple, si le silence est absence de son et que l'assourdissant désigne au contraire le trop plein de son alors la phrase le silence est assourdissant est une antithèse et une erreur. Aucune vérité ou accord entre mon idée du côté assourdissant du silence et mon objet le silence ne ressort. Ainsi, on peut affirmer qu'à tout jugement vrai correspond donc une vérité et à tout jugement faux une erreur. Cependant, le problème du concept de vérité en soi est qu'il implique qu'un seul jugement serait vrai. Or, l'expérience nous montre que des jugements vrais différents peuvent être fait sur un même objet sans qu'aucun soit une erreur.

Ainsi, la Seconde Guerre mondiale trouve par exemple des explications dans la naissance de nouveaux régimes politiques, l'ascension au pouvoir d'Hommes politiques au caractère violent et avide de pouvoir, la faiblesse des Etats dits démocratiques, la brutalisation des comportements et les évolutions dans la culture de guerre dans le monde. La chose est logique: l'acte de juger et l'acte de prédiquer quelque chose à quelque chose. En d'autres termes, il s'agit de l'acte de l'esprit par lequel on adjoint un concept à une intuition empirique. Soit ainsi la proposition "le chien est beau", j'adjoint le concept de beau à l'intuition empirique que j'ai du chien, c'est-à-dire la perception, la vision que j'en ai. Or chaque esprit est différent étant donné qu'aucune perception n'est la même. Le contraire serait absurde car si tous les esprits étaient les mêmes il n'y aurait aucune réflexion philosophique ou autre car tous le monde percevrait et penserait la même chose. De fait, si tous les esprits sont différents, il ne peut y avoir un seul et unique jugement vrai sur un objet. La vérité en soi n'existe donc pas. Dès lors, la phrase parue dans la Fin du Monde de Pablo Neruda "la vérité, c'est qu'il n'y a pas de vérité" prend tout son sens. En effet, s'il n'y a pas de vérités absolues alors le jugement vrai est nécessairement pluriel. Or, à chaque jugement vrai correspond une vérité soit un accord entre une idée et un objet. De fait, parce que le jugement vrai ne peut être unique, il ne peut y avoir de vérité qu'au pluriel. Le contraire signifierait qu'une vérité absolue est possible. Or cela est impossible du fait de la différence des esprits qui seuls sont en mesure de juger et d'émettre des vérités. Il n'y a donc pas de vérité au sens comme le dit Neruda au sens de vérité absolue. De fait, parce que la vérité est nécessairement plurielle, chaque jugement vrais ou valides naît d'un chemin de pensée, d'un raisonnement différent.

 

On peut alors accorder du crédit à ce disait Eric-Emmanuel Schmitt dans l'Evangile selon Pilate: "Qu'est-ce que la vérité? Il y a la tienne, la mienne et celle de tous les autres. Toute vérité n'est que la vérité de celui qui l'a dite. Il y a autant de vérité que d'individus". En effet, chaque esprit est différent et a sa vérité. De fait, il y a autant de vérité que d'esprits et donc d'individus.

 

 

Dante