L'identité entre universalité et relativité

29/01/2014 22:09

L'identité

entre universalité et relativité

 

Introduction

 

I) L'identité comme chose en soi, un concept ambigüe

 

II) La relativité de l'identité

 

III) L'identité comme construction sociale perpétuelle

 

Conclusion

 

 

Introduction

 

En ces temps où les conservateurs français et les partis de l'extrême-droite manifestent et protestent contre les "menaces" face à l'identité française, dont la définition n'a de cesse de varier selon les groupes et les idéologies, la question de l'essence de l'identité en tant que concept semble ne jamais avoir été aussi importante. En effet, de l'enfance à l'âge adulte, la question de ce qui nous constitue, nous réunie en peuple, et de qui on est n'a de cesse de se répéter et de s'accompagner d'autres problèmes comme la propriété: Ce lieu est-il le mien? Qui suis-je pour m'approprier un espace? Cette question de l'essence de l'identité a amené de nombreuses réponses plus ou moins argumentées. Ainsi, les plus conservateurs ont souvent vu dans l'identité une chose naturelle et perpétuellement fixe et se sont alors placés du côté des tenants du concept de frontières naturelles comme Danton lors de la tribune de la Convention nationale le 13 janvier 1793. D'autres, au contraire, n'ont eu de cesse de rappeler la spécificité et l'importance de chaque être dans la marche du monde et ce sont la plupart du temps des philosophes tels que Nietzsche, Spinoza, ou Voltaire, quitte à promouvoir l'internationalisme comme les marxistes et les anarchistes. Cette question a donc de lourdes conséquences politiques et sociales, d'autant plus que le racisme et la ségrégation se base explicitement sur la pensée d'une identité absolue, naturelle, inaliénable et en soi.

Rappelons tout d'abord ce que signifie l'identité. On distingue généralement l'identité comme relation d'un être à lui-même (identité numérique), de l'identité comme ressemblance (identité qualitative) et de l'identité comme ce qui fait le caractère d'un sujet dans son devenir (identité personnel). On y parle également d'identité pour désigner l'appartenance de plusieurs êtres à une même espèce, ou à un même groupe. Par extension, l'identité en vient à désigner la reconnaissance d'un individu par lui-même ou par les autres et a été appliqué aux objets et aux espaces que l'on s'approprie d'où les idées de propriété privé et de territoire. La définition amène donc à voir dans ce concept une pure construction malgré les discours politiques et médiatiques. Il importera alors dans cet article de mesurer le degré d'absolu que l'on peut accorder au concept d'identité.

 

I) L'identité comme chose en soi

 

L'identité est un concept controversée de par son origine ambigüe même dans les discours des tenants d'une identité en soi. Dans le cas d'un enfant, le problème de l'origine de l'identité est assez fort puisqu'il concerne sa nature. Or, dès les premiers moments de son existence, il constate que son prénom est une construction de ses parents issue des héritages de la culture qui les précèdent et de choix mais il le désigne en tant qu'être, montre ce qui le constitue ainsi que ses origines, et l'empêche de se reconnaitre dans un autre nom. C'est importance de la quête identitaire motive aussi les enfants adoptées à chercher leurs parents car elle forme un repère permettant de donner un sens à son existence. Le phénomène est, certes caricaturé et fictif, mais très bien montré dans la première partie du film Superman, a Man of Steel sorti en 2012 et qui montre un Kal-El parcourant le monde afin de retrouver ses origines et son nom afin de trouver le sens de sa venue sur Terre. Cette exemple fictif et symbolique amène aussi à s'interroger sur l'essence de la nationalité qui fait partie de l'identité et là encore le caractère culturelle ressort. En effet, la nationalité n'est pas choisie par l'individu car il ne peut décider de son lieu ou de son pays de naissance. Elle lui est donc imposée par son peuple et il est plus ou moins libre de la conserver et ainsi d'intégrer ou non la société qui l'a vu naître. A plus grande échelle, ce phénomène forme l'identité nationale, à la fois fruit des nationalités que les peuples forment pour faire société et de la reconnaissance des autres peuples. Si tel n'était pas le cas, alors, la Palestine ne serait pas l'objet d'une dispute identitaire entre Israéliens et arabes pour qui la reconnaissance mutuelle de l'identité nationale des peuples juifs et musulmans pose problème.

Dans le cas d'un objet ou d'un lieu, la question se pose encore autrement puisqu'un objet, ou un lieu, peut exister indépendamment d'une personne, pourtant lorsque celle-ci se l'approprie, l'objet est désigné, on lui attribue l'identité de propriété ou chose appropriée par un tel. Pour autant, il est clair que l'objet se soucie peu de son identité puisqu'il est sans pensée et que cette question n'intéresse que le propriétaire. Cependant, force est de constater que le problème n'a aucun sens dans une culture où la propriété privée n'existe pas comme chez les précolombiens d'Amérique du Sud découvert par Christophe Colomb au XVème siècle.

Malgré ce caractère indéniablement construit de l'identité, on cherche à fixer ce concept et à le matérialiser afin de lui conférer un caractère absolu. Cette matérialisation de l'identité passe d'abord par le prénom et le nom attribués à la personne à la naissance que l'on retrouve sur sa carte dite "d'identité" et qu'on lui apprend à écrire et à dire dès le plus jeune âge après lui avoir fait désigner ses parents par les termes "Maman et Papa" et les objets et êtres qui l'entourent et qu'il découvrent peu à peu. Pour ce qui est des objets et des lieux, cela passe par le nom inscrit sur le manteau pendu au porte manteau de l'école ou l'adresse que l'enfant doit connaitre pour plus tard retourner "chez lui". Enfin, au niveau national voire international, la matérialisation de l'identité passe par les symboles comme le drapeau bleu, blanc, rouge, les hymnes, la concentration des programmes scolaires notamment en Histoire sur le pays en question et les institutions et Hommes politiques eux-mêmes. Ainsi, même si la famille royale n'a pas de véritable pouvoir décisionnel au Royaume-Uni, sinon en tant qu'investisseur économique, elle demeure le symbole unifiant les Britanniques autour de l'idée d'une nation indivisible et unie. La religion peut apparaît comme un de ces critères d'identité nationale même officieusement: on peut donc ne pas s'étonner de voir que les Français de longue date voient d'un mauvais œil la montée de l'islam puisque leur pays s'est principalement adressé à une population chrétienne ou juive et que les cadres de vie eux-mêmes étaient devenu des supports de ces repères (fêtes chrétiennes marquées dans le calendrier national, Noël fêtée à l'école et dans les médias, toponymie, l'existence des cantons,...).

 

II) La relativité de l'identité

 

Il ressort de là que l'identité est nécessairement relative car elle construite. Pour le comprendre, il faut regarder de plus près les rapports entre nature et culture et s'interroger sur le caractère proprement humain de la culture. En cherchant à résoudre ce débat autour d'une culture souvent perçue comme le propre de l'Homme ou le signe de la spécificité humaine face au règne animal, une idée répandue en Occident depuis Descartes et les philosophies issue de la Bible qui ont vu le monde comme une création de Dieu faite pour l'Homme, en opposition aux philosophes comme Foucault ou Lévi-Strauss qui y voient un faux problème du fait de l'inexistence du propre de l'Homme et l'impossibilité de définir l'humanité, Merleaux Ponty a proposé une synthèse. Il part tout d'abord d'un postulat simple: la nature est ce que l'on produit et qui nous constitue. Il constate alors que ce que les sociétés humaines produisent généralement est la culture et qu'ils en font un véritable élément constitutif. Dès lors, il conclue que la culture humaine n'est rien d'autre que notre nature. L'identité étant produite par les individus pour se reconnaître, elle découle nécessairement de notre culture et, par là de notre nature. L'identité est donc construite car produite par notre nature/culture si l'on suit ce postulat. Ce caractère relatif, confirmé par l'origine de l'identité analysé précédemment, a pour conséquence directe que l'identité ne peut être fixe. Les symboles et les drapeaux ne peuvent donc empêcher l'évolution identitaire lié à la nature humaine qui, si elle existe, ne peut qu'être mouvante du fait de notre caractère vivant.

Face à cette relativité de l'identité par deux fois prouvée, la critique nietzschéenne s'impose: qui promeut l'identité absolue et pourquoi? La méthode généalogique révèle alors que l'identité en soi n'a véritablement d'intérêt à exister que pour le politique en premier lieu. En effet, l'identité en soi permet aux États de disposer de masses de populations unies autour de l'idée de nation pour les guerres. C'est ce sur quoi a joué la Troisième République pour la Première Guerre mondiale en France. Napoléon III n'était pas parvenu à instaurer la conscription pour faciliter le recrutement de ses armées car son autorité et la vie militaire n'étaient pas admises de toutes les Français qui, en outre, ne se pensaient pas vraiment en nation. Dès lors, lorsque les Républicains sont parvenus à reprendre le pouvoir dans les années 1880, ils se sont d'emblée adonner à insérer la République dans la culture des Français afin qu'ils se sentent concernés par elle et la défende. Cette diffusion s'est alors matérialisée par des réformes en faveur des paysans, sans privilégier ceux des régions de bocage comme l'avait fait l'ancien empereur, le désenclavement relatif des campagnes par le réseau ferroviaire, et la propagande par les symboles, les fêtes et défilés. Il en a alors résulté une mobilisation générale réussie en 1914 avec un taux de désertion inférieur à 0%.

Mais l'identité en soi est aussi rassurante au niveau personnel. Nombre d'individus ont besoin de cadres clairs et définis pour exister. Ces gens là sont les "salauds" de Sartre dans la Nausée, les "nihilistes" de Nietzsche et les prisonniers de la "connaissance du premier genre" de Spinoza. Sans appliquer ces termes de manière péjoratif, ces individus obéissent et se confinent dans ces cadres par peur du caractère évolutif et du changement qui peuvent à tout moment les perturber. Ce réflexe de de préservation peut se manifester soit par un conservatisme passif ou classique, non-violent sinon dans les mots, soit, dans les cas extrêmes, par le racisme et la violence xénophobe. Ainsi, il n'est pas rare dans les terres d'immigration ancienne comme la France, l'Espagne ou l'Italie voire même la Corse de voir une montée de la xénophobie et du racisme parce que l'étranger, bien que minoritaire par rapport au pourcentage de natifs, se concentrent en certains points de ces pays et en particulier là où il trouve de l'emploi laissé vacant. Ces immigrés, ces "autres" sont alors accusés de menacer l'identité française, espagnole ou italienne chrétienne, républicaine ou démocratique, à partir du moment où s'opère le métissage culturelle. Cette peur de l'autre s'explique aussi par la difficulté de dépasser son cas personnel, d'assumer son existence et d'aller au-delà de nos perceptions souvent erronées: la voie du surhumain nietzschéen est difficile et la peur est aisée. L'identité en soi est donc liée à la foi à cette solution de facilité qui fait société et la stratégie politique.

 

III) L'identité comme construction sociale perpétuelle

 

L'identité n'est de fait qu'une construction sociale. Si tel n'était pas le cas, alors le nom donné à l'enfant lui aurait été donné de tout éternité, sans que les parents et la société n'y ait joué un quelconque rôle. Or, il est indéniable que, même si nos choix sont déterminés par les jeux de l'Univers (ce qui n'empêche en rien la liberté puisque liberté et volonté sont deux pouvoirs différents du sujet comme le disait Locke), il est clair que quelque chose ne peut avoir été attribué à un être qui n'existe pas encore et que, de fait, l'enfant ne peut recevoir de nom avant sa conception tant physique que mentale. De même, l'objet aurait un propriétaire de tout temps et les frontières d'un territoire seraient naturelles, ce que les sciences sociales et en particulier la géographie, n'ont eu de cesse de contredire. En effet, la France a eu une forme mouvante tout le long de son Histoire et il est entièrement faux de dire que les Pyrénées ont toujours été une frontière appartenant à la France pour sa partie Nord et à l'Espagne pour sa partie Sud. De plus, cette construction est perpétuelle. Si l'identité était fixe tant dans le temps et l'espace, alors les civilisations ne se seraient pas succédées et aucune évolution personnelle ne serait possible: comment peut-on penser que le vivant, par essence mouvant, puisse avoir pour caractère fixe une construction de toute pièce comme l'identité? Le métissage qui a rythmé l'Histoire est le contre-exemple par excellence d'une telle idée invalide. Cette identité relative, évolutive, mouvante, pourrait être vu comme un appauvrissement des sociétés par les plus conservateurs et les pessimistes puisque rien de fixe n'est alors possible. Mais en réalité, l'identité est moins un appauvrissement qu'une richesse. Elle est le symbole même du caractère évolutif du vivant. Par les métissages, les mutations de l'identité, les rencontres et les évolutions personnelles, c'est l'Histoire et le vivant qui se donne en spectacle et vouloir figer cette marche ontologiquement mouvante, c'est tenter de tenir de l'eau dans la main et chercher à emprisonner quelque chose qui est libre par essence.

Dans la rencontre de l'autre, l'impression d'une identité menacée d'extinction, il ne faut pas voir un évènement grave ou une catastrophe mais une nouvelle étape de l'évolution et de la vie quelque soit l'échelle. De nos jours, la part de chrétien en France se ferait devancer par les athées et les musulmans. N'y voyons pas là une "invasion" comme le suggère le Front Nationale et les partis extrémistes mais une nouvelle mutation de la société vivante et mouvante qui en appellera bien d'autres, riches en expériences nouvelles. La mondialisation amène paradoxalement à "l'insularisation du monde" d'après Nathalie Bernardie-Tahir: des populations se créent des micro-sociétés, des "îles", et des cadres plus réduits pour vivre dans un monde où les limites et les frontières n'ont quasiment plus de sens. N'y voyons pas là un quelconque signe apocalyptique mais une transition vers une nouvelle forme de société qui aura encore ses expériences et son Histoire à écrire.

 

Conclusion

Il n'y a donc pas d'identité en soi, absolue et fixe mais une identité relative, construite perpétuellement et source de richesses culturelles infinies. Ce constat, logique et indéniable, oblige à rappeler cette citation d'Émile Zola sur l'Histoire: "Au cours des siècles, l'histoire des peuples n'est qu'une leçon de mutuelle tolérance, si bien que le rêve final sera de les ramener tous à l'universelle fraternité, de les noyer tous dans une commune tendresse, pour les sauver tous le plus possible de la commune douleur. Et, de notre temps, se haïr et se mordre, parce qu'on n'a pas le crâne absolument construit de même, commence à être la plus monstrueuse des folies".

 

Dante