Qu'est-ce que la culture?

04/02/2014 21:08

Qu'est-ce que la culture?

 

Introduction

 

I) Evidences sur la culture

 

II) Dépasser les préjugés

 

III) La culture comme expression de la nature des êtres finis

 

Conclusion

 

Introduction

 

André Malraux disait deux choses à propos de la culture: "La culture ne s'hérite pas, elle se conquiert" et "la culture...ce qui fait de l'Homme autre chose qu'un accident de l'Univers". Ces deux citations expriment et résument toute la contradiction de la pensée de la doxa à propos de ce concept. D'une part, l'expérience immédiate et la connaissance du premier genre fait croire qu'il s'agit d'un signe d'une quelconque exception humaine par rapport à la machine animal cartésienne et le règne végétal. D'autre part, il s'agit d'un état qui nous éloigne de la nature et qui s'acquiert sans être héritée, ce qui entre en contradiction avec l'idée d'exception humaine. Cette contradiction est généralement celle de l'individu lambda dont la classe sociale n'est pas assez élevée pour qu'il se disent faire partie d'une élite, d'une classe haute et dirigeante à laquelle appartient la culture, ce qui constitue aussi une autre idée répandue sur le concept de culture. A ces idées préconçues, les sciences répondent de manière hétérogène selon l'objet qui est étudié. Ainsi, la sociologie définie la culture comme "ce qui est commun à un groupe d'individu" et comme le lien qui les soude. Le sociologue Guy Rocher parle lui d'un "ensemble lié de manières de penser, de sentir et d'agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servent, d'une manière à la fois objective et symbolique, à constituer ces personnes en une collectivité particulière et distincte". Par glissement sémantique, la culture en vient à désigner presque exclusivement l'offre de pratiques et de services culturels dans les sociétés modernes et en particulier dans le domaine des arts et des lettres. Toutes ces définitions et ces conceptions, aussi divergentes soient-elles, convergent néanmoins sur un point: la culture n'est pas la nature et est proprement humaine. Est-ce à dire pour autant qu'il n'existe pas de culture animal comme le déclarent pourtant les travaux de l'éthologie et la primatologie et que celle-ci serait un propre de l'Homme l'éloignant de l'état naturel? Pour répondre à cette question, il importera tout d'abord de voir comment l'idée d'une culture comme exception humaine a vu le jour et s'est démontrée. Puis, une critique sera menée de ces évidences sur la culture pour amener dans un troisième temps à une nouvelle vision de la culture.

 

I) Evidences sur la culture

 

La culture comme l'opposé de la nature est peut-être l'évidence la plus citée et la plus partagée. Il est vrai qu'en regardant l'Histoire des hominidés, on constate que le développement de la science et des techniques nous ont permis de nous détacher relativement de la nature. Grâce aux progrès de la médecine, l'Homo Sapiens Sapiens, peut espérer vivre jusqu'à plus de cent ans contre une trentaine d'années à ses débuts. De même, la communication immatérielle lui permet d'outrepasser les distances et communiquer avec ses congénères sur l'ensemble de la planète, ce qui a contribué à l'émergence d'une société globalisée. Enfin par l'art, l'Homme moderne est désormais en mesure de marquer son passage sur Terre de manière durable, faire un passer un message par delà le temps et l'espace (l'oeuvre d'art étant une "toupie" lancée dans le temps comme le disait Sartre) et évader son esprit voire lui faire prendre conscience de l'existence de ses semblables et de dépasser sa condition personnelle. De ce point de vue, la culture apparaît a priori comme le propre de l'Homme. Cette idée, issue d'Aristote, est notamment défendue par Ferdinand de Saussure dans son Cours de Linguistique Générale en 1916. Le but du linguiste dans ce cours reformé par ses élèves était de proposer une théorie cohérente du langage capable de saisir son objet avec la plus grande rigueur et netteté possible, en distinguant le phénomène linguistique de tout phénomène connexe. Saussure y distingue alors langage et langues et voit dans le langage une faculté générale de pouvoir s'exprimer au moyen de signe.

A contrario, la langue est entendue par Saussure comme un ensemble de signes utilisés par une communauté pour communiquer. Il différencie en outre le langage de la parole, la parole étant l'utilisation concrète des signes linguistiques dans un contexte précis. Il ressort de là que le langage, selon les définitions de Saussure, est une faculté proprement humaine. Le langage étant un élément considéré par la doxa comme culturel, on en déduit que la culture est proprement humaine. Le vulgaire dirait aussi, en caricaturant un peu, qu'il n'a jamais vu son chien faire de dissertation ou lui sortir une thèse d'Histoire tout en résolvant des équations de mathématiques.

 

II) Dépasser les préjugés

 

Il faut cependant dépasser les préjugés. Prétendre une exception humaine dans la culture, c'est ignorer le règne animal et les découvertes des autres sciences qui ont largement mis fin à l'opposition humaine/animal. Parmi ces découvreurs, on peut citer les primatologues Klaus Zuberbühler et Alban Lemasson qui ont révéler que le langage n'était pas le propre de l'Homme comme l'affirmait Aristote et Saussure. "La bonne question n'est pas : "le langage est-il le propre de l'homme ?" mais : "qu'est-ce qui, dans le langage humain, lui est propre ? ", nuance Philippe Schlenker, de l'Institut Jean-Nicod. Pour le linguiste, une série de signes comme 1, 1+1, 1+1+1, etc., constitue déjà , d'un point de vue formel, un langage. Rien à voir bien sûr avec la langue articulé des Hommes en matière de complexité. Une complexité qui est d'ailleurs souvent sous-estimée par ceux qui la pratiquent."Les règles de grammaire que nous enseignons dans les écoles ne sont que la partie émergée d'un gigantesque iceberg", disait Philippe Schlenker. Pour l'essentiel, ces règles explicites, acquises à l'école, sont celles qui varient d'une langue à l'autre mais cachent derrière un corpus de règles implicites, jamais enseignées, et seulement étudiées par les linguistes, mais dont certains sont commune aux 6000 langues répertoriées dans le monde. La découverte incroyable est que des enfants de trois ans la connaissent d'instinct selon l'expérience du psycholinguiste Stephen Crain, ce qui prouve que ce langage qui était pensé comme un élément purement culturel a en réalité une origine naturelle, innée. Noam Chomsky va même jusqu'à parler d'une grammaire universelle que nous serions génétiquement programmés pour connaitre et respecter. Outre cette observation qui montre que l'animal est aussi doué de langage, on retrouve d'autres éléments culturels insoupçonnés jusqu'ici dans le règne animal grâce à l'éthologie. Ainsi, la conscience de soi et la mémoire est attestée par l'expérience chez la pie, le corbeau, le dauphin, le chimpanzé et l'éléphant. De même, on sait que des moeurs sexuelles existent chez nos amis les bêtes: l'homosexualité existe chez les dauphins, les baleines et les girafes, les jeux sexuels ont été observées chez les bonobos, tout comme les pratiques de la monogamie chez le gibbon et de la polygamie chez les autres singes. A tous ces exemples pourrait s'ajouter le phénomène d'apprentissage qui a lieu aussi bien dans une relation Homme/animal que animal/animal.

Il n'y a donc pas de culture propre à l'Homme et donc d'éloignement de la nature par la culture. Cela est confirmée par un autre argument de poids: il n'y a pas de propre de l'Homme. En effet, l'expression "propre de l'Homme" implique que l'on sache définir l'Homme. Or, aucune définition n'a pu être émise et ce pour une raison simple: la chose est impossible logiquement parlant. Pour définir une chose, il importe que le définissant n'enveloppe pas le défini. Sinon, cela signifierait qu'il pourrait avoir une vue globale de lui-même en sortant de lui-même ce qui est absurde. En outre, comment définir un être vivant? Comment peut-on émettre un énoncé résumant toutes les caractéristiques d'une chose qui change en permanence en tant qu'être vivant? Enfin, il faut aussi regarder qui parle de propre de l'Homme et pourquoi. Dès lors, force est de constater que l'idée d'une culture proprement humaine et éloignant l'animal policé d'Aristote du reste du monde est un héritage. Celui-ci est multiple et compte en premier lieu l'hypothèse de l'état de nature partagées par Hobbes et Confucius, selon laquelle la société serait issue de notre culture afin de mettre fin à nos conflits incessant liés à nos instincts naturels (notre conatus comme dirait Hobbes) et amener la paix et l'ordre: l'Homme policé comme être civilisé et parfait. Le deuxième héritage est celui des religions et notamment le christianisme qui fait de l'Homme un être que Dieu a créé à son image et du monde un ensemble de choses faites pour l'Homme. Enfin, rappelons la période humaniste qui s'est constituée en véritable courant en Occident et qui a teinté les réflexions des penseurs des autres civilisations, en particulier dans le Bouddhisme, et qui a largement instauré l'anthropocentrisme, voyant que Dieu ou le divin ne suffisait pas à expliquer le monde: de là venait d'ailleurs la phrase de Nietzsche "Dieu est mort". Cette période qui n'a duré que jusqu'à l'ère du structuralisme a renforcé les deux premiers héritages et constituent avec eux autant de théories pour rassurer les individus sur leur condition. Comment être rassurer face aux instincts animaux que l'on découvre depuis les deux Guerres mondiales, aux actes parfois défiant toutes morales (morale qui n'est que construction sociale) et qui révèle l'Homme comme un animal parmi d'autres dans un monde parfois violent? Il n'y a donc aucun propre de l'Homme ni de culture indépendante de la nature.

 

III) La culture comme expression de la nature des êtres finis

 

Maintenant que nous savons ce que la culture n'est pas, comment la comprendre? Qu'est-ce que la culture? Tout d'abord, rappelons ce qu'est la nature. Par définition, la nature est ce qui est produit et qui constitue une chose. En ce sens, la nature est l'essence d'une chose. La nature est donc nécessairement évolutive puisque l'essence passe par trois stades: en puissance, en acte, puis meurt. Le premier stade correspond à la chose en puissance, sur le point d'exister, son essence va se former. Le deuxième est celui la chose existe, est en acte. Enfin, le dernier correspond à la disparition de la chose en question qui peut varier selon sa nature ou son essence. Ainsi, un Homme peut vivre jusqu'à 100 ans en moyenne dans un pays riche et dans des conditions favorables et une étoile peut vivre des milliards d'années. En ce sens, "notre essence précède notre existence" comme dirait Sartre puisque l'existence correspond au deuxième stade. Si tel n'était pas le cas, alors nous pourrions choisir notre naissance avant de naître ce qui serait absurde. Cette essence est produite, d'où le fait qu'elle puisse être en puissance puis en acte.

Or, ce que nous produisons et qui nous constitue en tant qu'être vivant est justement la culture. La culture précède notre existence, constitue notre personne et évolue en interaction avec nous. La culture est donc notre nature. Il n'y a aucune dichotomie entre la nature et la culture humaine. Si ce n'était pas le cas, alors la culture ne serait pas la culture et la nature ne serait pas la nature ce qui est un syllogisme qui hérisserait le poil de n'importe quel logicien. La culture exprime notre nature. Ainsi, elle change nécessairement de contenu en permanence selon l'individu et selon la civilisation: comment pourrait-on imaginer que chaque individu et chaque civilisation soient dotés de la même culture? Ce serait absurde. De même, comment pourrait-on croire que des individus aient plus de culture que d'autres? Ce serait un discours inégalitaire et infondé niant qu'une différence de contenu ne signifie pas une différence de niveau. Enfin, l'impossibilité du propre de l'Homme oblige à conclure que la culture est l'expression de la nature de tout être fini et vivant.

 

Conclusion

La culture n'est donc pas ce qui différencie l'Homme du reste de l'Univers ni ce qui l'éloigne de la nature. La culture est l'expression de notre nature, ce qui nous différencie et nous rapproche tous en même temps. Par la culture, nous prenons tous conscience de notre spécificité (que beaucoup considèrent encore à tort comme une inégalité) et de nos points communs. Nous sommes tous des êtres vivants avec notre mémoire, notre pensée sans cesse en évolution, et notre rapport au monde et la culture n'a de cesse d'exprimer la singularité de ce rapport et notre nature d'être fini et vivant.  

 

 

Dante